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Après avoir guerroyé en Algérie de décembre 1961 à juillet 1963 et à l’issue d’une délicieuse permission de trois semaines sur la côte normande, je reviens aux affaires sérieuses en France, à Orange-Caritat, à l’escadron 1/5 Vendée comme commandant en second de cette unité. Le B2 à cette époque, moins pointu que le Mirage III qui commence à peine sa carrière, est avec le F-100 l’avion de pointe du moment. Construit à 150 unités, il équipe trois escadres dont la mission prioritaire est la défense aérienne.
Cette nouvelle aventure commence exactement le 17 août 1963, par le traditionnel circuit d’arrivée, bouclé en un tournemain, pour me plonger manu militari dans le manuel d’utilisation du Dassault Super-Mystère B2 qui est l’avion d’arme de la 5ème escadre de chasse. Je n’ai que quelques jours pour m’en pénétrer puisque mon premier vol sera effectué le 22 août suivant …
Venant de l’AD4 Skyraider, dernier monstre à hélice, moteur à explosion de 2700 ch, à roulette de queue, donc habitué à batailler ferme au déollage contre les couples gyroscopique, de renversement et sou vent contre un vent de travers aggravant, le saut vers le B2 est d’importance : je me fais l’effet d’être le chauffeur de poids lourd qui se retrouve sans ménagement au volant d’une Formule 1.
Et, bien sûr, il n’y a pas de version biplace du B2 : le coup d’essai doit être un coup de maître ! Le ‘challenge’ paraît redoutable, mais une fois l’affaire faite, la baudruche se dégonfle vite … Comparé à celui de l’AD4, le décollage du B2 est du genre paresseux : il n’y a qu’à pousser la manette, enclencher la PC et attendre la vitesse de rotation pour tirer sur le manche. Seuls quelques coups de frein sont nécessaires en début de course pour se maintenir dans l’axe, jusqu’au moment où l’efficacité des gouvernes prend le relais …
La suite du vol jusqu’à l’atterrissage est affaire de paramètres de vol à respecter et d’anticipation sur la manette des gaz : le réacteur est loin d’être aussi réactif qu’un moteur classique. Le passage de la pleine puissance au ralenti n’est pas instantané et il est encore plus long de revenir au plein régime s’il faut se rallonger ou remettre les gaz. Mais on retrouve vite ses ‘sensations réacteur’ … Pour l’atterrissage proprement dit, on m’avait averti : approche à 180 kts réduite à 160 en courte finale, toucher des roues à 140. L’alignement sur l’axe de la piste doit être effectif à 160, car de 160 à 140, les gouvernes n’ont plus guère d’efficacité et la trajectoire de la machine est plutôt celle d’un projectile vers son point d’impact. Le système ‘ministop’ d’antiblocage des roues, permet de se poser pieds sur les freins pour une meilleure efficacité du freinage. Ensuite, la consigne est d’utiliser le parachute de freinage systématiquement pour épargner les freins. Ce parachute est largué dès la piste dégagée.
A peine décollé, la tour me signale la perte d’une bande de roulement sur la piste. Il faudra donc atterrir sur ‘les toiles’. Comme ce n’est que mon deuxième vol, l’alerte est donnée et le directeur des vols pèse le risque d’un éclatement au toucher des roues et d’une éventuelle sortie de piste. De toute manière comme il n’est pas question de se poser avant d’avoir brûlé assez de pétrole, je poursuis mon programme et termine par une QGH fictive (percée sous contrôle SRE). Après inspection visuelle de la roue incriminée par le pilote d’accompagnement, il est finalement décidé de tenter l’atterrissage, à charge pour moi de déployer ma science maximale …
Et avec beaucoup de chance – il faut bien l’avouer – j’effectue l’un de mes meilleurs atterrissages : le baiser sur la piste, ainsi nommé à cause du léger chuintement que produit le contact tangentiel du caoutchouc sur le béton, je déclenche le parachute frein et m’arrête sur la piste sans avoir eu recours aux freins et surtout sans éclater … ce qui me vaut les vives félicitations du commandant d’escadre, car je lui ramène quasiment intact son B2 n°119 !
A mon cinquième vol, je découvre un des défauts majeurs du B2. Pour preuve, Dassault apportera sur le Mirage IIIC la solution à ce problème en le dotant de la régulation d’approche. Mais pour le B2 il faut faire avec. Les Israéliens qui sont allés jusqu’à remplacer le moteur français par un Pratt & Whitney J52 n’auraient-ils pas pensé à pallier ainsi ce défaut autant que celui de la sous-motorisation ?
La vitesse de 180 kts est la vitesse recommandée sur le plan de descente jusqu’à l’arrondi. A surveiller au noeud près, car la cause initiale de l’instabilité est là : une réactivité insuffisante qui génère un trop grand écart qui ne peut se rattraper que par une action disproportionnée sur la manette des gaz aussi bien en avant qu’en arrière. Et pour se stabiliser sur la bonne vitesse, il faut anticiper avec précision sur le mouvement inverse de la manette des gaz. Faute de quoi, on court sans arrêt après cette vitesse. Quand on est seul c’est sans conséquence, mais lorsqu’un équipier est en formation serrée dans la couche, cela devient carrément intenable !
2 septembre 1963
Première mutuelle qui sera suivie de beaucoup d’autres, car c’est le catéchisme de la défense aérienne (DA), l’exercice souverain qui vise à opposer l’équipier à son leader dans des exercices d’interception et de combat mutuels, avec pour le plus adroit, la grande satisfaction de filmer l’adversaire à la ciné-mitrailleuse. Au retour au sol une visionneuse sophistiquée installée depuis peu dans les escadrons permettra de juger la qualité de la visée et de désigner le vainqueur …
La PC est évidemment déclenchée dès le contact visuel. Le premier qui allume prend l’avantage mais perd le bénéfice de la surprise : le délai d’allumage est si long qu’il provoque un beau panache d’une centaine de mètres. Henri IV aurait dit « vous me reconnaîtrez à mon panache blanc … ». Sans la surprise, c’est le combat qui départage les antagonistes : l’enjeu est pour chacun de bien gérer son capital d’énergie totale (altitude + vitesse).
La manoeuvre sous facteur de charge continu provoque inévitablement l’usure de cette énergie, ce qui a pour effet d’emmener les combattants dans une succession de ‘weaves’ (renversements successifs de virages en opposition) où chacun se retrouve à piloter ‘sur une tête d’épingle’ à la limite du décrochage. C’est alors celui qui pilote le plus finement qui parvient à se glisser derrière l’autre sans décrocher – en faisant au besoin usage de ses volets – et qui arrive à faire une visée stabilisée d’au moins quelques secondes …
Tout au long de ces mutuelles, j’ai tout loisir de noter les petits désagréments de la bête :
– Je constate qu’en combat, une alarme audio se déclenche trop systématiquement. Sur le B2, elle peut signaler l’une des cinq pannes majeures. La première fois, surpris et paniqué, j’interromps le combat par sécurité et découvre qu’il s’agit de l’oxygène : un arrêt respiratoire de plus de 10 secondes suffit à le provoquer et Dieu sait si c’est fréquent en évolutions serrées à plus de 4G … comme une bonne inspiration suffit à l’éliminer, les fois suivantes je n’y prête plus attention, respire un bon coup et continue l’engagement. Cependant, chaque déclenchement est assez perturbateur pour affecter la manoeuvre …
– Le B2 est taillé pour le transsonique, mais le passage du mach sous facteur de charge est réputé provoquer la mise brutale en vrille – vrille supersonique disait-on ! Or, en évolutions dans le plan vertical, l’occasion de dépasser le mach est incessante ! Il faut donc garder un oeil sur le machmètre, car vrille = combat perdu. Même si cette vrille se rattrape très facilement …
– Autre avatar, la panne d’huile : elle n’est pas fréquente heureusement, mais quand elle arrive, elle est rédhibitoire. En combat, les vérins de paupière sont très sollicités, or, spécificité du B2, ces vérins sont sur le circuit d’huile de lubrification du moteur. La moindre fuite signifie atterrissage dans les plus brefs délais …
– Et pour finir, la ’10 minutes de vol’: c’est la lampe rouge de bas niveau de carburant. Sur cet avion glouton, elle pèse comme une épée de Damoclès. Elle sonne généralement la fin de la récréation ! En configuration interception, donc avec le seul pétrole interne, le décollage et la montée PC allumée, puis le combat, aboutissent par le plus court chemin à l’allumage de cette lampe. Il reste alors de quoi percer, faire un GCA et une remise de gaz éventuelle … rien de trop !
Cela dit, au régime maximum, lisse (sans bidons supplémentaires), avec réchauffe, tous apprécient la maniabilité et le plaisir de piloter cet avion en combat, surtout à haute altitude. Et encore plus pour ceux qui comme moi, ont connu des machines plus frustres telle que le Thunderstreak, le bien nommé !
Polyvalence oblige ! On a beau être chasseur pur, les cursus de formation, les épreuves de SCP et BCP sont les mêmes dans toute la chasse. Je prends un malin plaisir à observer les candidats SCP contraints à une pratique contre nature pour eux : dans un scénario d’appui rapproché, improviser l’attaque d’un objectif donné en vol, naviguer à la 1/100.000ème à vue pour déboucher sur l’axe le plus favorable, prononcer l’attaque et dégager vers une zone de recueil puis attendre les ordres pour l’attaque suivante. Je retrouve avec plaisir cet exercice type dévolu aux escadrons de la FATAC sur F-84F, exercice très éprouvant mais bien approprié à la formation du futur sous-chef de patrouille. Face à une certaine réticence de mes cobayes, je me prends au sérieux au point de me mettre moi-même en difficulté sur des objectifs de plus en plus délicats dans un relief plus complexe que celui des zones d’entraînement de l’Est !
La cabine du B2, pas plus vaste que celle du F-84F, n’est pas adaptée au déploiement d’une carte ni à l’utilisation du matériel habituel, tels que la règle Cras et le computeur Aristo: le cap et le chrono sont les deux paramètres de base, ensuite la navigation à vue ne nécessite que quelques points clés sur le trajet, caractéristiques, donc faciles à identifier. La préparation a recours à des astuces simples et rapides telles que plier la carte pour matérialiser le trajet direct et mesurer la distance à la main (empan, nombre de doigts…). De quoi attraper une bonne suée que le chasseur pur réserve habituellement au combat aérien ! Fort heureusement, la prochaine mutuelle arrive toujours à point pour une décontraction salutaire dans des exercices plus familiers …
Le B2 n’ayant pas la capacité de chasseur tous-temps, cet exercice ne vise qu’à acquérir et entretenir une aptitude basique à la navigation nocturne. En attendant le Mirage III et son Cyrano, l’interception tout-temps incombe aux 13ème (F-86K) et 30ème escadres (Vautour) . Effectuant un vol en numéro deux au profit d’un jeune à l’entraînement, j’ai l’occasion de noter la faible signature lumineuse du B2 et une certaine difficulté à stabiliser le vol relatif en formation légère relâchée à une centaine de mètres en retrait. En revanche la navigation au cap et à la montre, avec une bonne visibilité sur les grandes agglomérations donne à l’exercice un aspect touristique indéniable.
Sur F-84F à la 4ème escadre, avec la même capacité réduite, nous faisions nos vols de nuit dans un esprit plus opérationnel : sous forme d’assauts crépusculaires avec retour en altitude, percée et GCA ou circuit à vue. Missions somptueuses où l’on assistait à un premier coucher de soleil, puis en grimpant, à une nouvelle apparition de l’astre du jour et enfin sur le trajet retour, au coucher final !
6 décembre 1963 – Nav IFR de jour
Ce jour-là, j’accompagne le Lt Chrétien -Jean-Loup Chrétien, le cosmonaute, parfaitement ! – 1 heure 35 de vol aux instruments pendant laquelle nous aurons parcouru tout au plus un millier de km à la vitesse de croisière. Dans un temps du même ordre, il fera dans une vingtaine d’années, le tour du monde !
On en était loin encore mais on levait souvent les yeux au ciel et tentait d’imaginer ce qu’il y avait au-dessus. On savait que le ciel s’assombrissait en montant. Un jour j’ai voulu m’en rendre compte par moi-même et profitant d’une occasion où je disposais d’un avion lisse, donc léger, j’ai poussé la montée au plafond maximum et dépassé les 50.000 pieds de quelques pieds supplémentaires … Et j’ai en effet constaté cet assombrissement, mais l’ai trouvé plutôt inquiétant … C’est un hommage que je rends aujourd’hui au courage de mon équipier astronaute !
Pour la nav IFR, le B2 de l’époque est notoirement sous équipé : avec deux radio-compas, le nombre fait la force mais pas forcément la valeur. Les deux postes pouvant être réglés sur deux stations différentes, on peut basculer de l’un à l’autre et avoir ainsi un début de triangulation, mais pour la fiabilité, j’aurais préféré un seul poste : celui du F-84F. Il est à noter qu’à la même époque, Richard Bach écrivain américain et pilote de chasse à Chaumont sur le ‘Streak’ disposait déjà d’un TACAN.
Je me souviens qu’un peu plus tard, ayant eu à préparer une expédition à quatre B2 en Espagne au titre d’un échange entre escadrons OTAN, je redoutais cette mission, pour avoir déjà traversé ce pays – en Sky -et mesuré la difficulté à établir un contact radio avec les organismes de contrôle et d’approche. Il valait mieux pour cette seule raison, avoir un avion suffisamment équipé en moyens de navigation autonome. Finalement, la mission fut annulée pour cause météo … Deux ans plus tard, ce fut la triste affaire de Séville et des six Mystères IV perdus !
L’aptitude au vol aux instruments est acquise puis contrôlée annuellement au CEVSV, organisme souverain à l’époque, seul habilité à attribuer ces cartes. La blanche concerne les élèves-équipiers et équipiers confirmés. La verte qui autorise des minimas (plafond et visibilité) plus sévères, s’impose aux SCP et CP.
4 février 1964 – Stage carte verte au CEVSV
Cinq vols sur T-33 dont le second avec en place avant un certain Lt Brisson – ancien du 1/9, déjà vu à Lahr fin-1955 – dont j’aurais dû me souvenir et que je retrouve en 2012 donc 57 ans après, à l’occasion des cérémonies de la fermeture de la BA 128 de Metz-Frescaty et au sein d’un groupe de nostalgiques de la 9ème Escadre, dont nous sommes depuis cette commémoration, membres assidus.
Résultat décevant : trois impacts sur 53. C’est mon premier tir au canon de 30 mm. Mais les tirs suivants ne sont pas meilleurs … Où est l’erreur ? Quelque part entre la détente et le casque Guéneau ?
Les 2 canons DEFA de 30 mm sont l’armement de base pour la mission de défense aérienne. A l’origine du programme, le B2 comprenait un panier à roquettes ventral escamotable et la capacité de tirer le missile Nord 5103. Dans nos cabines, la banquette de droite comprenait le tableau de commande qui permettait au pilote de radioguider l’arme jusqu’à l’impact. Nécessité donc d’avoir le visuel à la fois sur la cible et sur l’arme sur toute la trajectoire. Conditions sans doute trop restrictives pour un missile air-air car le Nord 5103 n’apparut jamais dans notre panoplie.
Sort identique pour le panier-roquettes escamotable qui présentait trop de menace en cas d’explosion interne et auquel on substitua un réservoir interne supplémentaire.
Notre armement externe amovible se limitait donc à deux Sidewinder infra-rouge en interception et aux armes classiques de l’époque pour les missions d’assaut : roquettes de 100 mm ou paniers SNEB de 68 mm, bombes jusqu’à 500 kg, napalm en position pendulaire sous les plans.
Pas question pour le B2 de bombarder en vol horizontal à haute altitude, il faut ‘déposer’ la bombe sur l’objectif à l’issue d’une approche en semi-piqué. Pour éviter les éclats, la bombe est ‘à retard’ comme les médicaments de même appellation. Les supports extérieurs acceptent des bombes de 1000 lbs. Pour l’entraînement, on se contente de bombes d’exercice inertes. Ce type d’entraînement vient logiquement en complément des missions d’assaut effectuées en appui des troupes, sous le contrôle d’un poste de guidage avancé (PGA).
La précision des impacts est variable. Pour cette mission, 6 bombes tirées dont une seule au but, pour les autres, des écarts de 6 à 20 mètres.
10 décembre 1963 – Tir roquettes
Six munitions tirées. Mon carnet de vol indique: au but, 0. Tendance, 6h-27m. Et si ce sont des têtes à charge creuse, il m’aurait fallu une cible d’au moins 27 m pour faire mouche ! Le B2 étant réputé être une bonne plate-forme de tir, je devrais en attendre mieux, mais je n’aurai pas l’occasion de le vérifier puisque ce tir restera ma seule expérience.
9 septembre 1963 – Attaque du PA américain USS Independence en Méditerranée
Privilège de la 5 que celui d’attaquer ce grand bâtiment et son escorte, et plus fréquemment , de pousser au combat tous les appareils de la flotte US : Phantom, Skyhawk, Crusader, Vigilante, A-3 Skywarrior, jusqu’au Skyraider … et aussi ceux de la Royale : Etendard, Breguet Alizé …
L’attaque de l’Independence n’a rien de fortuit : les marins US sont intéressés à tester leurs défenses mais, sans accord préalable, l’approche de tels objectifs serait suicidaire … même en temps de paix.
Ayant prononcé l’attaque par le travers, la sensation est unique de voir grandir dans le viseur la silhouette de ce monstre, puis de passer au-dessus des structures. Une seule attaque, bien sûr, nous est autorisée !
Ce même jour – vol de contrôle après révision
Après avoir rempli le programme, et à l’issue d’une descente rapide à vue, je me retrouve au-dessus de l’eau en direction de la côte sur un cap retour. Je ne résiste pas à l’ivresse d’un petit vol rasant au-dessus de l’eau. Le mistral souffle et la mer est assez agitée avec de l’écume sur la crête des vagues. Cela vaut le coup d’oeil et je prolonge un peu la séance, mais lorsque je reprends un peu d’altitude au-dessus des terres, j’ai la désagréable surprise de me retrouver avec un pare-brise blanchâtre plus translucide que transparent: c’est évidemment une couche de sel. Le dégivrage n’y fait rien, un nuage ferait mieux l’affaire, mais par ces temps de mistral, le ciel est exempt de toute humidité.
Le vol rasant est toujours un pêché capital qui encoure sanction, mais le faire en milieu salin relève de l’inconscience ! Mea culpa … L’atterrissage sera délicat, mais si je ne veux pas perdre la face, je dois le faire sans tambour ni trompette. La glace frontale est carrément opaque, mais les latérales le sont moins. Et c’est ainsi que je fais un atterrissage en apparence normal, mais ‘à la chauffeur de locomotive … à vapeur’ en me basant sur le bord gauche de la piste. Revenu au parking, c’est le mécano qui s’étonne de l’état des glaces avant !
10 février 1964 – Interceptions orientées à basse altitude
Variante des mutuelles de la haute altitude : ne pouvant compter sur la détection à basse altitude des radars, l’intercepteur calcule lui-même sa trajectoire en fonction des indications du point d’origine, de l’altitude, des cap et vitesse annoncées par le plastron. Sorte de calcul mental où le pilote prend à son compte le travail que le contrôleur d’opérations aériennes effectue normalement à la console STRIDA (Système de Traitement et de Représentation des Informations de Défense Aérienne). Seule la pratique assidue de ce genre de sport permet de se présenter favorablement pour l’attaque.
Une variante de cet exercice trouve sa raison d’être opérationnelle dans l’interception des missions d’assaut des épreuves du BCP: le scénario de cette épreuve est celui d’une mission strike sur un objectif situé en territoire ennemi, dont l’importance justifie qu’il soit fortement défendu et protégé par une patrouille simple. Le candidat CP est à la tête de 6 avions chargés en armement externe (fictif) et réservoirs supplémentaires. Il a préparé son attaque de manière à se présenter sous l’angle le plus favorable par rapport au relief et aux défenses ennemies. La formation ennemie est en embuscade à proximité de l’objectif, avec a priori l’avantage de l’altitude et dans le secteur le plus favorable pour réussir l’interception. (Le petit coup d’oeil d’espion sur la carte des assaillants durant la préparation peut éventuellement aider !) Car pour que l’épreuve soit complète pour l’apprenti CP, il faut que cette interception ait lieu … L’idée de manœuvre pour le défenseur est surtout de désorganiser l’attaque en dispersant la formation et en obligeant le plus grand nombre possible d’appareils à larguer leurs charges offensives pour faire face à la menace. A contrario, l’attaquant dont la priorité est la destruction de son objectif, doit sacrifier le moins possible de ses forces dans le contre et poursuivre avec le reste jusqu’au but pour sauver sa mission …
16 février 1964 – Opportunités ou plus simplement « chasse libre », en classe V pour le contrôleur radar (expression pudique pour dire qu’il n’intervient à aucun moment dans le débat) : combat, mémorable, avec un Etendard IVM. Plus léger mais dépourvu de PC. L’histoire ne dit pas qui a gagné … probablement celui qui avait le plus de pétrole, ou la plus courte distance pour rentrer chez lui !
13 mars 1964 – Deux exercices d’ACONTUCOU: atterrissages en configuration turbine coupée
Exercices de précision diabolique, car il faut à partir d’une panne moteur simulée en passant le moteur au ralenti, et à distance variable du terrain, prendre ses marques pour une arrivée parallèle à la piste en vent arrière, à l’altitude qui permettra d’arriver ensuite à l’entrée de bande à la vitesse idéale sans avoir touché à la manette des gaz. La variable d’ajustement sur laquelle il faut tout miser, est l’éloignement en vent arrière avant d’entamer le dernier virage de 180° pour revenir face à la piste. En panne de moteur réelle, pas de droit à l’erreur d’être ou trop court ou trop long; avant d’arriver à cette constatation tragique, il aura fallu avoir pris la décision conservatoire de prendre à temps ‘l’escalier de secours’ pour revenir au sol entier.
26 et 27 mars 1964 – Exercice Lafayette: défense aérienne
Scores : un Phantom qui ne se défend pas et que je filme jusqu’au bout, un Vautour qui se défend et qui est beaucoup plus agile qu’il n’y paraît et un Friendship que je me contente de reconnaître : il a peut-être de paisibles passagers qu’il faut laisser somnoler …
6 avril 1964 – Passes Sidewinder, fictives bien entendu, pour entraînement … et pour ne pas se laisser surprendre quand il faudra les monter pour de bon ! Ce sera le seul essai pour moi.
13 et 14 avril 1964 – Missions Carabi dont 2 en classe IV
Carabi est pour le CAFDA l’équivalent de Rebecca pour la FATAC. En moins fréquent mais sur le même principe : état d’alerte maximum justifiant le rappel de tous les personnels de la base à leur poste de travail pour arriver au stade maximum de préparation au combat, chronomètres en main pour les juges et mesure des temps de réaction … Avec comme suite logique la mise en alerte des moyens aériens pour l’exécution des missions prioritaires de l’escadre. Pour la 5ème escadre il s’agit d’interdire le ciel aux attaques aériennes. Les missions qui en résultent portent un numéro d’ordre dans la série Carabi.
Le 1er jour, j’intercepte 2 F-84F sous contrôle du CDC (centre de contrôle) dans les conditions normales. Pas de pitié pour mes anciens copains !
Le 2ème jour, le CDC n’ayant plus tous ses moyens, lance les interceptions en classe IV: ‘contrôle par diffusion’. Un contrôle très dégradé où les informations minimales sur les attaquants – altitude, cap, vitesse, force … – sont lancées sur les ondes à la cantonade et à charge pour le défenseur le mieux placé de s’annoncer et de prendre l’interception à son compte: estimation d’un cap convergent et du point de rencontre en fonction de la vitesse de l’ennemi et de ses changements de trajectoire éventuels que le contrôleur diffuse en continu … Sorte de braderie où la proie convoitée se faufile et nous échappe le plus souvent !
Deux sorties, deux échecs. Visuel sur le premier, sans suite. Aucun résultat sur le second. Est-il bien sensé de revenir à des méthodes aussi simplistes, artisanales et stériles ?
En classe V -chasse libre- c’est souvent plus payant !
Du 12 au 15 mai 1964 – Manoeuvres Fair-Game à Perpignan, contre la task-force en mer. Toute l’escadre et son matériel de campagne se transporte sur le terrain de Perpignan. Camping pour tous et matériel ‘mobilisation’ sorti de la naphtaline. Bâches à eau devant les tentes pour les ablutions … C’est un peu le club Med, d’autant que le soleil cogne déjà !
Les B2 sont alignés sur un vaste tarmac, pilotes d’alerte brêlés à bord cherchant le moindre chiffon pour se soustraire aux rayons du soleil, mais quand le parasol improvisé est en place, une petite brise maligne et tout est à refaire !
Au delà des grilles délimitant notre champ de manoeuvre, des badauds sont là, comme à une journée portes ouvertes …
Mon bilan Fair-Game, mission par mission:
– B66 … 1 Skyhawk
– B68 … Combat tournoyant avec un Crusader, que je suis obligé d’abréger piteusement lorsque cette satanée ’10 minutes de vol’ s’allume au beau milieu de la grand bleue …
– B86 … 2 Skyraider. Pas si facile car le Sky se défend en virant sec
– B61 … RAS, ça ne marche pas à tous les coups
– B72 … Idem
Et le dernier jour, pour remercier le terrain qui nous a accueilli et la foule des spectateurs, un passage magistral avec tous nos avions disponibles, avant de mettre le cap retour sur Orange …
20 et 21 mai 1964 – Escapade à Cazaux pour 3 vols
Cazaux, c’est l’académie du tir air-air en mer et air-sol au Trincat.
Trois tirs air-air (dont un panneau à la mer) et un tir air-sol. Le temps des cibles Soulé (1) n’étant pas encore venu, c’est encore sur le classique panneau que l’on tire … avec des obus colorés, comme pour un feu d’artifice !
(1) Cible métallique profilée comme un missile avec système d’enregistrement des impacts significatifs. Enfin une cible pour l’ère supersonique !
2 juin 1964 – tir air-sol: trois impacts pour 92 obus tirés – de mieux en mieux !
9 juin 1964 – re-tir air-sol : 21 coups au but pour 100 obus, soit 21 %. J’égale enfin mes scores sur F-84F. Il était temps ! Peut-être m’a t-on fait cadeau ce jour-là, d’un meilleur avion …
24 juin 1964 – j’intercepte quatre RF-84F italiens. Ce sera mon dernier exploit sur SMB2 ! Victoire facile peut-être sur des artistes plus préoccupés de belles photos que par la surveillance du ciel … Vengeance du chasseur simple sur le ‘chasseur intelligent’ ?
29 juin 1964 – mon ultime vol sur le B2 : un assaut type BCP. Trop de concentration pour se laisser aller à la sensiblerie.
Bilan chiffré: 163h10 dont 160h10 de jour et 3h00 de nuit (seulement), 160 atterrissages, 46 percées et 38 GCA.
Et par type de mission :
Tirs air/air : 5 ; tir fictif Sidewinder, 1.
Tirs air/sol : canon, 8 ; tirs roquettes, 1 ; skip bombing, 5.
Mutuelles, 35 ; interceptions, 23.
Navigations Basse Altitude, 6 ; assauts, 2 ; navigations VFR/IFR, 2.
Nombre de victoires : pas de fanfaronnade inutile, ce ne sont que de petits court-métrages et qui plus est, en vidéo inverse !
Et en guise de conclusion, je garde le souvenir ému d’une relique originale du 1/5 dont je ne sais si il en existe encore une, aujourd’hui: le Vendée se divisait comme tout bon escadron de chasse en deux escadrilles héritières des traditions des SPA de 14/18 :
– la SPA 26, avec pour symbole la Cigogne de Saint-Galmier,
– la SPA 124 à l’effigie de Jeanne d’Arc, une Jeanne très guerrière, casquée, prête à bouter l’anglais hors de France.
Un jeune pilote de l’escadron, aussi doué pour le dessin que pour la représentation du corps féminin, eut l’idée d’en faire un buste dévoilé manière Aslan. Tellement réussi qu’il fallut en faire profiter tout l’effectif de l’escadron et même au-delà, et c’est ainsi que la Jeanne se retrouva sur un T-shirt à l’américaine alors que la technique du transfert n’était pas encore inventée…
Mais le plus surprenant de l’affaire, ce fut lorsqu’on enfila le maillot : la Jeanne prit sur ces bustes plus ou moins virils, toutes les formes possibles et imaginables … de quoi faire une chanson à la Pierre Perret et à 36 couplets !
Les pilotes de chasse ont souvent des angoisses mais aussi de joyeuses rigolades qui contrebalancent les précédentes. Celle-ci en fut un exemple.
Le jeune artiste s’appelait Cosquer, si ma mémoire est bonne. C’est aussi, je crois, l’hommage à lui rendre que de rappeler qu’il fut à l’origine de cette farce.
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