Je suis arrivé à Moulins-Alger en 1954 à l’âge de 8 ans. J’habitais dans les HLM de la rue de Constantine dits « les blocs », le troisième bloc pour être précis. A l’indépendance de l’Algérie, Moulins-Alger deviendra Moulins-Saint-Pierre, et la rue de Constantine l’allée des Acacias.
J’ai fait mon premier vol en avion, probablement en 1955, dans un SUC 10 Courlis de l’aéroclub Les Ailes Mosellanes. Il s’agissait d’un ‘vol coqueluche’ comme c’était la mode à l’époque. La montée, et le séjour d’une demi-heure en altitude, étaient supposés guérir la coqueluche. C’est mon jeune frère qui avait la coqueluche. Je ne me souviens pas s’il a été guéri, mais moi, ça a sans doute contribué à me donner le virus de l’aviation !
Je me souviens très bien du Courlis. On montait dans cet avion comme dans une voiture, il y avait une banquette à l’arrière. Les Ailes Mosellanes ont en eu plusieurs dont un jaune et un rouge. Le jaune, dans lequel j’avais volé, a pourri comme épave contre le pignon du hangar de l’aéroclub pendant des années. Je n’ai jamais pensé à le photographier.
De ces premières années je n’ai que le très vague souvenir d’un meeting aérien auquel mes parents m’avaient emmené. Peut-être en 1956 à l’occasion de l’arrivée de l’escadre car le seul souvenir assez net est un F-84 à verrière coulissante au statique. Je me souviens aussi avoir vu des Sabre canadiens.
Après l’installation de la 9ème Escadre à Metz, les avions de chasse faisaient partie du quotidien des habitants de Moulins-Alger, Montigny-les-Metz, Marly, Augny et des autres communes du sud de l’agglomération messine. C’était surtout les habitants de Montigny-les-Metz et ceux de la route de Jouy à Moulins-Alger qui étaient aux premières loges lors des décollages en piste 01 et des atterrissages en piste 19. Je ne me souviens pas que qui que ce soit se soit plaint du bruit. Les habitants de la route de Jouy et de la rue de Pont-à-Mousson se plaignaient beaucoup plus du fracas permanent des camions militaires américains du camp de Tournebride.
En ce qui me concerne, je n’étais pas dans l’axe de la piste, mais, de la fenêtre de ma chambre, dans mon troisième bloc de la rue de Constantine, j’observais les évolutions des avions et je voyais même leurs dérives lorsqu’ils venaient s’aligner pour décoller en piste 19. Ce spectacle est sans aucun doute à l’origine de ma passion pour l’aviation.
Peu à peu, au grand désespoir de mon père, j’ai pris l’habitude d’aller presque tous les jeudis, et souvent pendant les vacances, voir les avions de plus près avec deux endroits de prédilection :
– Le pont ferroviaire qui passait au dessus de la voie ferrée d’accès au dépôt de locomotives de Frescaty d’où l’on voyait très bien atterrissages et décollages.
– La terrasse de l’aérogare de Frescaty, bien sûr ouverte à l’époque, d’où on avait une très belle vue sur toute la base et qui surplombait le taxiway d’accès au parking du 2/9 distant d’une trentaine de mètres.
J’ai passé des journées entières à ces endroits à regarder les avions, le plus souvent en solitaire, quelquefois avec des copains qui n’ont jamais accroché. Je pense que je devais avoir 13 ou 14 ans lorsque j’ai commencé à connaitre les avions et à comprendre ce qu’étaient la 9ème Escadre et les F-84F. Point de repère, j’avais 15 ans quand j’ai acheté mon premier Aviation Magazine en septembre 1961.
Le souvenir le plus marquant que j’ai du F-84F est l’avion au roulage. La forme de son fuselage, son train principal à très large voie, et la roulette de nez très à l’avant, lui donnaient une allure très caractéristique, encore accentuée lorsque la verrière était ouverte, avec le pilote haut perché sur la bosse du dos de l’avion.
Au roulage, la configuration du train et la souplesse de la suspension provoquaient un dandinement très particulier que je n’ai revu sur aucun autre avion.
Au décollage, après un long roulage, la montée se faisait avec un angle assez important. J’ai particulièrement remarqué cette caractéristique lorsque les Mystère IV ont cohabité avec les F-84F sur la BA 128 pendant plusieurs mois, en 62-63. Les Mystère IV avaient une pente de montée beaucoup plus plate que les F-84F ; on les identifiait rien qu’à cet angle de montée.
Les missions de la 9ème Escadre se faisaient généralement en patrouilles de 2 ou 4 avions. Les décollages se faisaient individuellement avec lâcher des freins à quelques secondes d’intervalle.
A l’atterrissage, les avions venaient systématiquement au break en patrouilles de 2 ou 4 avions. Le circuit était à gauche en piste 19 et à droite en piste 01, toujours au dessus de Marly. Après le circuit, les avions se posaient individuellement, roulaient jusqu’au bout de la piste et regagnaient leur escadron.
Les approches longues, de type GCA, étaient peu fréquentes.
Il arrivait quelques fois qu’un avion que je supposais être en panne radio se présente en solo à l’altitude du break, il obtenait alors l’autorisation d’atterrissage par une fusée verte tirée de la tour.
Les décollages JATO étaient un spectacle de choix. Les fusées JATO étaient allumées après quelques mètres de roulage et produisaient un beau dégagement de fumée mais peu de bruit supplémentaire par rapport à celui du moteur de l’avion.
Après le décollage les avions faisaient un circuit et venaient larguer les bouteilles JATO vides dans l’herbe le long de la piste avant de partir pour leur mission.
Les seuls autres avions dont j’ai le souvenir sont les NC.701 très caractéristiques avec leur nez bulle. Curieusement, je n’ai aucun souvenir des T-33. Mais j’ai le souvenir de deux meetings, en 1962 et en 1964.
Du meeting du 3 juin 1962 je n’ai aucun souvenir des avions de la 9ème Escadre pour la simple raison que je n’avais d’yeux que pour le Mirage III que je voyais pour la première fois. Le Mirage III C n° 35/2-EK était au statique. Deux autres venus de Dijon pour le meeting ont fait une arrivée fracassante plein travers de la piste au top de Jacques Noetinger, suivie d’une présentation, et sont repartis directement sur Dijon sans se poser.
Pour le meeting du 5 juillet 1964, contrairement aux habitudes, le public était à l’est de la piste, côté aérogare. Les avions de la 9ème Escadre n’étaient pas au programme des vols mais le F-84F ‘9-BI’ et le T-33 ‘9-DB’ étaient exposés devant le hangar du 2/9 avec le Fennec n°108 de l’ELA 55. D’autres F-84F étaient visibles dans les marguerites, dont le 52-8880 ‘9-AL’, le seul que j’ai photographié avec le très modeste Kodak Brownie Flash familial.
Je n’ai pas vu venir la dissolution de la 9ème escadre. Dans ma candeur juvénile, je pensais qu’elle existerait toujours et que j’allais voir arriver des Mirage IIIE pour remplacer les F-84F.
C’est le silence qui régnait sur la base qui m’a fait comprendre que c’était fini.
La base était comme morte, on y entrait comme dans un moulin. Je me souviens être allé à pied photographier un Vickers Viking de la compagnie anglaise Invicta sur l’ex-parking du 2/9 sans que quiconque ne me demande quoi que ce soit.
Puis les N.2501 de l’EE 54 sont arrivés en 1966, mais ceci est une autre histoire…
Je ne savais pas ce qu’était un spotter, j’étais un simple passionné d’aviation qui regardait les avions pour son plaisir. Je n’ai acheté mon premier appareil photo 24/36 qu’en 1967 pendant mon service militaire. Je n’ai donc aucune note, ni aucune photo de cette époque à part celle du F-84F 52-8880/9-AL du meeting de 1964.
J’ai toutefois un souvenir concret du F-84F que je vois tous les jours en m’asseyant à mon bureau : deux tubes de mitrailleuses de 12,7 qu’un armurier de la 9ème Escadre avait donnés à mon père.
Copyright: Michel Léonard et escadrilles.org
NDLR : Outre un fervent connaisseur de l’aviation, et un excellent photographe, Michel Léonard était une personne de grande qualité. Il laisse un souvenir sans nuance à tous ceux qui l’ont connu.