« Chipiron » fut le surnom des Vautour de guerre électronique employés à la 92ème escadre de bombardement durant les années soixante-dix.
Dans les années 1975-1977, l’Armée de l’Air conservait un certain parfum des années soixante, avec une escadre de F-100, une autre de Super-Mystère B2, une troisième de Mystère IVA, et enfin une ‘petite’ escadre de SNCASO 4050 Vautour IIB et IIN (elle réunissait en une seule formation les avions des ex-escadrons 1/92 Aquitaine et 2/92 Bourgogne).
C’est à quelques-uns des avions et à une des missions de la 92 Escadre de Bombardement que nous nous intéressons maintenant : les Vautour II BGE de guerre électronique, ou Chipiron. Pas question ici de réécrire en deux pages le contenu de l’excellent et introuvable ouvrage d’Alain Crosnier « SO. 4050 Vautour » (Editions Lela Presse, 1996). Nous évoquons l’existence de ces Vautour un peu spéciaux au travers de leur présence épisodique sur la base aérienne 128 de Frescaty.
Pour un photographe en herbe exerçant ses talents en bout de piste à Metz, la présence de Vautour était très excitante, surtout que ces avions venaient en général à quatre, le plus souvent lors des exercices nationaux de type DATEX. Je crois me souvenir qu’on voyait les Vautour au moins deux fois par an, à cette époque. A Metz, nous n’avions pas le droit de photographier les Noratlas de l’EE 54 Dunkerque, du moins sur le terrain d’aviation.
Pas de chance, voilà que les superbes Vautour en mission sur la BA 128 étaient également « in-photographiables »: nous avions encore affaire à d’authentiques avions de guerre électronique, des Wild Weasel à la française ! Certes, rien à voir au niveau du look entre le F-105G, et notre premier bombardier biréacteur national, quintessence de l’esthétique latine.
Le Vautour IIB Chipiron, avec son nez vitré et ses grandes ailes en flèches garnies de deux réacteurs Atar 101E, plus deux bidons de pétrole, portait aux points d’emports externes les deux fameux bidons spéciaux, bien reconnaissables aux petites hélices qui dépassaient de leur nez. De plus, les Chipiron n’assuraient que la partie « brouillage » de la mission de guerre électronique: au contraire de leurs homologues américains. Les Vautour II BGE ne portaient pas de missiles anti-radar, les AS-37 Martel de l’Armée de l’Air étant lancés depuis les Mirage IIIE, et pendant un temps les Jaguar, de la 3ème Escadre de Chasse.
La guerre électronique n’était pas la mission première de la 92 et seul un nombre limité de Vautour II B furent modifiés en BGE pour l’emport de ces conteneurs spéciaux, et câblés pour que l’équipage les utilise. Selon Alain Crosnier, après l’avion « prototype » modifié en 1966, le n°629, les cellules 612-613-614-619-632-633-635-636-637 furent équipées en 1968 et 1969. Alors qu’initialement, les Vautour II BGE étaient prévus pour emporter une nacelle de brouillage électronique actif de type CT-2 d’un côté, et une nacelle lance-chaffs américaine de type ALE-2 de l’autre, les Chipiron vus à Metz au milieu des années soixante-dix portaient deux conteneurs électroniques CT-2.
L’équipement de brouillage électronique initial se nommait ARAB 4A et opérait dans les bandes S des radars de détection lointaine. Il est possible, à mon humble avis, que les équipements utilisés en 1975-77 aient été modifiés spécifiquement pour la mission de pénétration à basse altitude, donc pour le brouillage d’autres bandes de fréquence.
Ne disposant d’aucun élément pour évoquer les aspects opérationnels de cette mission, je peux supposer d’après la présence répétée des Vautour à Metz, que leur emploi n’a pas été anecdotique: un scénario plausible serait que ces Vautour BGE devaient ouvrir la voie à des raids offensifs de Mirage III ou Jaguar. Il n’est pas interdit de penser que les radars de l’Allemagne de l’Est toute proche aient parfois été l’objet de l’attention des Chipiron, mais officiellement il ne s’agissait que de l’entraînement du réseau de détection français aux aléas du brouillage actif.
Je ne sais pas non plus quel était le niveau d’intervention des équipages dans l’utilisation des brouilleurs: ces conteneurs étaient-ils autonomes, ou bien nécessitaient-ils des « boîtes noires » actionnées par l’équipage ? Des équipements spécifiques étaient-ils montés par exemple dans la soute à bombes du Vautour ? Cette soute pouvait en effet accommoder deux réservoirs de 1500 litres de pétrole en lieu et place des armes offensives, mais on aurait pu tout aussi bien y installer une baie électronique.
En tout cas, les photographies montrent que les bidons spéciaux pouvaient différer par le nombre de ‘verrues’ (capteurs ou émetteurs ?) : selon le cas on en distingue une ou deux. On voit au travers de ces lignes que l’on trouve encore peu d’éléments sur les aspects techniques et opérationnels des Vautour Chipiron de la 92ème Escadre.
Gageons qu’avec la fin de la période trentenaire de non-divulgation des archives, des détails intéressants de la vie « secrète » du bombardier Vautour seront révélés. Après la disparition des Vautour, la mission de guerre électronique « de théâtre » fut reprise par les Jaguar de l’Escadron 2/11 Vosges, mais c’est une autre histoire …
Non contents de jeter de l’encre sur les écrans radar, les mémorables Chipiron me valurent aussi un moment d’obscurité lors des épreuves du BAC en 1977 : ayant séché un cours important pour aller faire des photos des Vautour (ils avaient la bonne habitude de se signaler en faisant leur dernier virage au dessus du lycée), je pris un ‘5’ en automatismes et ratais ainsi la mention … Autant en emporte le vent …
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