A 43 ans, il n’avait déjà plus rien à prouver. Et pourtant, il fait des pieds et des mains pour rejoindre en 1943 ses camarades de la 1ère escadrille du GR II/33, la SAL 33 (La Hache d’A. Bordage), alors équipée de quelques Lockheed F-5B (un P-38 de reconnaissance). C’est déjà avec ses camarades du GR II/33 qu’Antoine de Saint-Exupéry avait effectué les périlleuses missions de reconnaissance pendant la Campagne de France, à bord des Bloch 174. Et déjà à l’époque il lui avait fallu tous ses appuis pour obtenir une affectation dans une unité au front.
De cette expérience, il tire son roman Pilote de guerre, Flight to Arras en anglais, interdit par Vichy peu après sa parution. En 1941, le gouvernement collaborationniste devait tenter sans succès de ‘récupérer’ Saint-Ex, alors exilé à New-York. Le gouvernement de la France Libre n’eut pas plus du succès: les gaullistes ne pardonneront d’ailleurs jamais à Saint-Ex de ne pas les avoir rejoints à Londres, lui qui s’était pourtant envolé de Bordeaux le 17 (?) juin 1940, pilotant un Farman quadrimoteur avec à son bord 40 autres aviateurs.
En mai 1943, Antoine de Saint-Exupéry obtient malgré son âge (43 ans) l’autorisation de rejoindre le groupe de reconnaissance II/33. Après avoir effectué quelques missions, Saint-Ex ‘casse un peu de bois’ le 1er août 1943 lors d’un atterrissage avec un moteur défectueux, et comme l’âge limite pour piloter un Lightning, le dernier pur-sang de chez Lockheed, est de 30 ans (!), les autorités l’éloignent du GR II/33.
Malgré les circonstances, l’écrivain-pilote use de toute l’influence de ses amis américains pour rejoindre à nouveau l’escadrille du capitaine Gavoille, à Alghero en Sardaigne, le 16 mai 1944. Il recommence ses vols sur Lightning à partir du 24 mai, avec une première mission de guerre le 6 juin.
Excellent pilote de reconnaissance, Saint-Ex réalise des missions de 3 à 4 heures, à haute altitude et grande vitesse. Le 23 juin, il est attaqué par des chasseurs au-dessus de La Ciotat : il largue ses bidons et s’en sort. Le 29 juin, son appareil est victime d’une panne moteur : Saint-Ex achève sa mission et revient au terrain (de Borgo) en survolant à 8000 pieds toute la plaine du Pô. Une bonne étoile veille sur le Petit Prince, en quelque sorte.
Le 17 juillet 1944, la 1ère escadrille du II/33 fait mouvement vers le terrain de Borgo en Corse. Ayant effectué son quota de missions de guerre, Saint-Ex insiste pour poursuivre la croisade avec les siens … il obtient 5 missions de plus.
Les dernières, car le commandant Gavoille a trouvé un stratagème pour sauvegarder l’avenir du déjà légendaire Antoine de Saint-Exupéry : on va l’informer des plans pour le débarquement en Provence, imminent. Ainsi, il ne pourra plus voler au-dessus du territoire occupé. Le 30 juillet, Saint-Ex écrit encore à plusieurs de ses amis : le danger l’indiffère, c’est dans la solitude de son cockpit, à haute altitude, que la symbiose est totale entre le pilote et l’écrivain.
Le même jour, René Gavoille rentre de mission alors que son équipier américain, le lieutenant Meredith, est abattu. Et Gavoille n’est pas présent, comme il aime à l’être, lorsque Saint-Ex est brélé dans le cockpit du P-38 F5B n°223, le matin suivant.
31 juillet 1944, terrain de Borgo (Corse) : mission 33 S 176, mapping Est de Lyon, c’est la neuvième mission de guerre de Saint-Ex en 1944. Le décollage a lieu à 8h45. A 15h30, un officier américain du Photo Group écrit « Pilot did not return and is presumed lost ». La suite est connue : bien longtemps après, la gourmette de l’écrivain fut retrouvée au sud de Marseille, et les débris de son appareil repêchés. Mais la légende de Saint-Exupéry n’avait pas attendu ces tardives découvertes.
Le plus grand pilote parmi les écrivains, le plus grand écrivain parmi les pilotes, … le plus grand écrivain-pilote.
(*) C’est ainsi qu’Antoine de Saint-Exupéry signait la correspondance adressée à un de ses amis d’enfance, Léon Werth.
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A lire aussi : Antoine de Saint-Exupéry. Ecrits de guerre 1939-1944. Editions Gallimard, collection Folio, 1994.