Le 8 août 1980, c’est accompagnés de l’ami Don Spering que nous faisons notre entrée sur la base de MacGuire (New Jersey), terrain où sont stationnées plusieurs unités de l’US Air Force, dont une nous intéresse particulièrement car elle est unique en son genre : elle vole sur Thunderchief, certes, mais sur la version ‘originale’, le F-105B construit seulement à 71 exemplaires, dont 65 seulement le furent à un standard opérationnel.
Le F-105 Thunderchief fut le dernier né d’une lignée prestigieuse conçue et produite par Republic Aviation, une émanation de la firme d’Alexandre Seversky, Russe immigré aux USA , qui est à l’origine des mythiques P-47 Thunderbolt, F-84E/G Thunderjet et F-84F Thunderstreak, sans oublier le RF-84F Thunderflash.
Le F-105B était l’évolution directe du YF-105A, né sur les planches à dessin de l’ingénieur Alexander Kartveli (émigré géorgien ayant travaillé 10 ans en France !) et construit dans l’usine de Farmingdale (New-York), qui vola pour la première fois le 22 octobre 1955.
Comme ses prédécesseurs, le F-105 Thunderchief était un chasseur-bombardier, un ‘mud’ comme on dit de nos jours, destiné à repousser une attaque ennemie en effectuant des strikes nucléaires sur les arrières du champ de bataille … le successeur du Thunderstreak et du Super Sabre. Il fut le pendant tactique du Convair F-106 Delta Dart, intercepteur pour chasseur aux yeux bleus.
Comme son cousin de la famille des Centuries Series, le F-105 connut un long développement parsemé d’embûches: l’avion était d’une grande sophistication, prévu pour bombarder par tous les temps en mode semi-automatique. Il avait deux autres points communs avec le F-106 : la soute à armements interne, et le turboréacteur, bien sûr, le Pratt & Whitney J-75, premier moteur à pousser plus de 10 tonnes (avec la PC). Un dernier point commun : ces deux Century fighters ne furent jamais exportés.
Le F-105B était à la fois plus court (‘seulement’ 19,22m) et plus léger (11 728 kg à vide) que le F-105D, essentiellement en raison de l’absence de véritable radar. Son turboréacteur était un J75-P-3/5 de 7 802 kg de poussée à sec et 10 659 kg avec PC, dépourvu de l’injection d’eau. Les débuts opérationnels du B furent évidemment ‘compliqués’, avec une mise en service initiale en août 1958 au sein du 4th TFW (335th TFS) : la non-fiabilité des équipements électroniques fut la cause d’une maintenance extrêmement gourmande en temps-technicien. La série de F-105B fut interrompue rapidement, Republic produisant la version définitive du Thunderchief, le F-105D à partir de 1958.
Avec la mise en service de la version tous-temps du chasseur-bombardier à partir de septembre 1960, le F-105B ne tarda pas à être versé à l’Air National Guard. Ainsi, le 141e TFS de l’Air National Guard du New Jersey toucha ses F-105B en 1964, devenant la première unité bisonique de la Garde Nationale. Au sein du 108th Tactical Fighter Group, le Thunderchief remplaçait le … F-86H, qui avait pour peu de temps pris la place du F-84F en 1962, après que l’unité ait laissé ses Thunderstreak en Europe à l’issue de la crise du mur de Berlin.
Seize années plus tard, lors de notre visite, presque rien n’avait changé au 141e TFS, même si les F-105B avaient revêtu le camouflage SE Asia adopté par leurs frères cadets. Les modifications d’équipements opérationnels qui avaient permis au F-105D de devenir un ‘mud’ efficace et fiable au Vietnam et en Europe, n’ont pas été apportées au B, à l’exception de ce qui regardait la sécurité des vols.
Le tableau de bord assez dense était resté le même: les visualisations en ‘ruban’ qui facilitaient la lecture des paramètres sur le D n’existaient pas sur le B. Ce qui frappait tout de suite lorsqu’on approchait d’un F-105, c’est l’énormité de l’avion : son assiette un peu ‘sur le cul’ rendait le cockpit accessible avec une longue échelle. Le pilote donnait vraiment l’impression de trôner dans l’habitacle.
Avec une envergure d’à peine 10m65 pour presque 20 mètres de long, le F-105 est très fin : sa charge alaire élevée (plus de 500 kg au m2 au décollage) en faisait une plate-forme très stable à haute vitesse. Son réacteur de presque 11 tonnes de poussée lui confèrait une grande vitesse de pointe (plus de 1200 kts de VS et Mach 2,1 à haute altitude).
Malgré l’installation ultérieure d’un réservoir de 1500 litres dans la soute à bombe, le F-105 décollait presque toujours avec deux réservoirs supplémentaires de 1700 l sous les ailes. Le point d’emport central étant réservé au pilône porte-bombes et les deux points extérieurs sous voilure étaient peu utilisés sur le B ; ils pouvaient emporter des missiles Sidewinder, ou autre, ou des brouilleurs sur le D. Lors de notre visite du 8 août, nous pûmes assister à deux départs pour des entraînements ; nous étions en semaine, l’activité au 141e TFS n’était pas celle du week-end, temps fort pour l’Air National Guard.
En août 1980, les F-105B n’en avaient plus pour très longtemps à voler dans le New Jersey, ni d’ailleurs au sein de l’Air Force Reserve : ceux de l’AIr Guard et ceux du 466e TFS du 508e TFG (AFRES) de Hill AFB (Utah) quittèrent le service la même année, en 1981. Dans cette unité, la prise en compte du D permit de prolonger un peu la vie du Thunderchief, tandis que la New Jersey ANG connut en mai 1981 le successeur dédié du F-105, le F-4D Phantom, avant de passer sur F-4E en 1985.
Enfin, en 1991, le 141e Sqdn du 108e Wing connut le destin redouté par Richard Bach, auteur de ‘Jonathan Livingston le goéland‘, qui relate son expérience de pilote au 141e TFS au temps du F-84F dans son roman autobiographique ‘Stranger to the ground‘ … l’unité se convertit sur multiréacteur, devenant un Air Refueling Squadron. Adieu l’ivresse du vol en monoplace, bonjour la fraternité des équipages, d’abord sur KC-135E, puis sur KC-135R Stratotanker … !
Alexandre et escadrilles.org
Pour les spotters, liste des F-105B vus le 8 août 1980 (à noter qu’aucun F-105F n’était présent, d’ailleurs je ne connais pas de photo d’un Thunderchief biplace de la New Jersey ANG) :