La 3ème escadre de chasse utilisa le Mirage IIIE de 1966 à 1994, avec une mission principale ‘air-sol’, elle employa notamment le célèbre AS-37 Martel à partir de 1973. En temps de guerre, la Trois aurait été étroitement associée à la Quatre pour des missions d’assaut dans la profondeur.
L’arrivée du Mirage IIIE à la Trois précéda de peu le déménagement de l’escadre sur la BA 133 de Ochey : en effet, les deltas sont arrivés dans les deux escadrons lors de l’année 1966, alors que ceux-ci stationnent sur la base de Lahr (BA 139). A cette époque déjà lointaine, le 1/3 Navarre et le 2/3 Champagne sont équipés de 15 avions chacun et assurent des missions de défense aérienne et de pénétration tous-temps, avec des avions non camouflés. Mais l’Armée de l’Air est alors en pleine réorganisation suite à la sortie de la France de l’organisation intégrée de l’OTAN.
Ce n’est qu’au début des années 70 que la FATAC prend une forme stable, charpentée autour d’une force de Mirage IIIE ventilée dans quatre escadres : dans ce cadre, la 3ème escadre de chasse se voit confiée la mission principale d’assaut tous-temps en zone centre-Europe pour laquelle le IIIE est parfaitement adapté.
Si l’ensemble de la panoplie d’armement classique peut être emportée, la spécificité de la Trois réside dans l’emploi du missile anti-radar AS-37 Martel, disponible en escadron à partir de 1973, ou celui de l’AS-30 télécommandé (puis infra-rouge). Ce dernier est d’un emploi délicat car le pilote doit guider le missile tout en pilotant l’avion, tout ceci en ambiance de combat.
Les pilotes des Mirage de Ochey sont donc entraînés à fournir le support indispensable à la pénétration des IIIE de la Quatre en arrière des lignes ennemies, ces derniers emportant dans un raid massif les armes spéciales AN-52 destinées à l’ultime avertissement d’un adversaire (le Pacte de Varsovie) dont les forces classiques terrestres sont disproportionnées vis-à-vis de celles de l’OTAN. En effet, bien que la France ne soit plus dans le commandement intégré de l’organisation, il existe des accords plus ou moins secrets qui coordonnent les forces nationales avec celles des alliés en cas d’agression.
Les escadrons 1/3 Navarre et 2/3 Champagne sont donc destinés à agir en air-sol dans le cadre de plans coordonnés qui organisent l’action de la majorité des forces aériennes françaises à cette époque. Même si les détails vont varier au cours de la période IIIE de ces unités, Ochey restera organisé autour de cette mission principale. En plus de cette mission , les Mirage de Nancy participent à la défense aérienne du territoire (prise de PO, …).
Comme pour toutes les unités de combat de l’Armée de l’Air, il existe une mission secondaire pour les équipages, et les avions sont aussi adaptés à cela : en l’occurrence, les pilotes des Mirage sont entraînés au combat aérien. S’il ne s’agit pas d’interception pure, les pilotes consacrent une proportion de leur entraînement à l’acquisition de la supériorité aérienne au-dessus du champ de bataille. En général, cette qualification est obtenue par les pilotes lorsqu’ils sont en progression vers le stade de sous-CP ou de CP, le pilote opérationnel étant qualifié dans la mission principale de l’unité (l’assaut tous-temps, dans notre cas).
Pour la mission principale, le IIIE vole en configuration lourde, avec des bidons largables de 1300 ou 1700 litres, son armement en point central, et des missiles d’auto-défense (ou plus tard des CME) en points extérieurs de voilure.
Des petits paniers à roquettes (6 engins) sont aussi emportés en point extérieur de voilure, au moins pour l’entraînement. Notons que les avions de Nancy ont été des IIIE avec la capacité maxi de carburant (réservoirs dans les bord d’attaque), c’est-à-dire produits après le n° 461.
La capacité carburant du IIIE (et sa consommation élevée en basse altitude, pour ses missions de prédilection) fait partie des contraintes inhérentes à ce chasseur : les réserves réglementaires sont de 600 litres quand le terrain est vert (arrivée au break possible) ou 800 litres pour un terrain jaune (GCA nécessaire). A Ochey, le gestion des retours de mission se compliquait du fait de l’espacement nécessaire entre les Mirage et les T-Bird du CEVSV 338.
A partir de 1977, la 3ème escadre présente une patrouille opérationnelle, les « Couteaux Charlie », des as de la patrouille serrée dans un volume restreint. En 1978, le cap des 100 000 heures de vol est franchi par les IIIE de Nancy.
Dès 1983, les conteneurs de contre-mesures font leur apparition sous les ailes des avions: Phimat, Barracuda et Barrax font progressivement partie de la panoplie de la Trois.
A compter de septembre 1987, les « Commis » du 3/3 rejoignent les « Coca » du 1/3 et les « Condé » du 2/3 : l’escadron Ardennes s’est offert un détour de 10 ans sur Jaguar, après avoir goûté 3 ans au Mirage 5F, de 1974 à 1977. La transition de la Quatre sur 2000N libère des IIIE et permet d’afficher un parc avions homogène à Nancy.
C’est dans la période 1987-1990 que l’activité IIIE à Ochey est la plus forte, avec les trois escadrons actifs dotés de 15 à 18 avions.
Les IIIE sont toujours très impliqués dans les exercices OTAN, déploiements et échanges se faisant maintenant aux côtés des Tornado et autres F-16 : le haut niveau d’entraînement permet au vénérable IIIE de faire bonne figure aux côtés ou en face de chasseurs plus modernes.
En juin 1990, lors du meeting national, la Trois fait défiler quatre Mirage de chaque escadron.
Le début de 1991 voit le 2/3 Champagne se séparer des vieux monoplaces au profit des 2000N : il est frappant de voir que la formule du IIIE est si réussie qu’elle a été reprise trait pour trait pour le nouveau chasseur bombardier de Dassault, à l’exception de la présence du NOSA, largement imposée par les contraintes de la mission « nuc » initiale du 2000N.
Signe de la fin de la guerre froide, des escadrons de la Trois se rendent au Maroc pour des exercices conjoints avec les Mirage chérifiens (le 1/3 en octobre 91, le 3/3 en mai 92).
Le 1/3 Navarre est le suivant sur la liste des promus sur biplace, mais sa transition de début-1993 se fait sur 2000D, un 2000N dénucléarisé et modernisé au niveau avionique. Dès lors, ce sont les aviateurs de l’Ardennes qui mettent en oeuvre les derniers IIIE de l’Armée de l’Air, puisque le 1/13 a abandonné les siens au milieu de 1992.
L’époque des « dernières » marque les années 1993 et 1994, avec à deux reprises des avions superbement décorés (dernière VP IIIE, et 50 ans de l’Ardennes). En mai 1993, six pilotes, des mécaniciens et 4 avions se rendent à Sidi Slimane pour des exercices avec les F-1CH : le IIIE fait encore preuve de sa versatilité. A cette occasion est effectué un des plus longs vols opérationnels de IIIE, avec un convoyage retour direct sur Nançy : 2h40 de vol pour l’essentiel au-dessus de 40 000 pieds. En avril 1994, les derniers AS-30 sont tirés à Cazaux par les ultimes IIIE de l’Ardennes.
Le 3 juin 1994, le rideau est tiré au 3/3, scellant ainsi 29 années de Mirage IIIE sous les cocardes françaises. A la Trois, les Mirage auront accompli environ 200 000 heures de vol en 28 ans, seulement 15 avions ayant été perdus en vol (avec une majorité d’éjections réussies). Un bilan extrêmement élogieux pour les hommes et l’avion, le vol tous-temps à basse altitude n’étant pas un sport de masse, il faut toujours le rappeler.
Si le Mirage IIIE n’avait pas été un système offensif, il aurait été exporté en bien plus grand nombre. En Europe, les Etats-Unis ont fait barrage au chasseur de Dassault en imposant le Lockheed F-104G Starfighter, à bien des égards inférieur au IIIE, et moins apprécié des pilotes pour ce qui concerne la sécurité des vols. En 2022, quelques IIIE volent encore de par le monde, comme au Pakistan. L’Argentine a délaissé les siens voilà peu.
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Référence : Le Mirage IIIE dans l’Armée de l’Air (Chenel, Moreau & Audouin, DTU 2004)
Remerciements : pour leur accueil bienveillant à la Trois, les Lt-Col Pélisson (1978) et Libat (1988)