Le SEPECAT Jaguar est issu d’un protocole d’accord signé en mars 1964 entre la France et le Royaume-Uni: la Société européenne de production de l’avion ECAT (Ecole de Combat et Avion Tactique) réunit la société Breguet et la British Aircraft Corporation (BAC). La co-entreprise SEPECAT est chargée de concevoir puis de fabriquer en série le futur avion. Un peu plus tard, la société Dassault racheta Breguet Aviation et pris en charge le programme Jaguar.
La conception du Jaguar alla finalement assez vite: il y eut 8 prototypes. Les premiers prototypes de chaque type volèrent le 8 septembre 1968 (Jaguar E 01, 1° biplace français), le 23 mars 1969 (Jaguar A 03, 1° monoplace français), le 12 octobre 1969 (Jaguar S 01, 1° monoplace britannique), le 14 novembre 1969 (Jaguar M 05, pour la Marine française), et le 30 août 1971 (Jaguar B 08, biplace britannique).
La France et le Royaume-Uni commandèrent chacun environ 200 avions, répartis en 160 monoplaces et 40 biplaces pour la France, et 165 monoplaces et 38 biplaces pour le R-U, les avions étant assemblés sur deux chaînes distinctes.
Les premiers Jaguar sont sous-motorisés, avec leurs réacteurs Adour 101 de 2470 kg/3400 kg de poussée, rapidement remplacé par des Adour 102 dotés d’une postcombustion « modulée »: la PC peut s’enclencher progressivement dès 80 % de la poussée maximale à sec. Alors que les Jaguar français resteront un peu handicapés par ces réacteurs Mk102 plutôt poussifs, les Anglais adopteront par la suite des versions plus puissantes de l’Adour (2700 kg/3750 kg).
Avion d’entraînement tactique devenu avion d’attaque au sol, le Jaguar a été pensé pour la pénétration des défenses adverses (le Pacte de Varsovie) à basse altitude. Doté d’un système de navigation Doppler, le Jaguar est dépourvu de radar, ce qui le rend moins performant que le Mirage IIIE en mode suivi de terrain basse altitude.
Par contre, gros avantage, le « Jag » est ravitaillable en vol, ce qui en fait un avion très facilement projetable en opérations lointaines, au contraire des Mirage de première génération. De plus, il est étudié spécifiquement pour pouvoir opérer depuis des terrains sommaires (vitesse en finale modérée de 140 kts, train d’une robustesse proverbiale, pneus basse pression, freinage efficace).
Les formes un peu complexes du félin franco-britannique traduisent peut-être les compromis entre ses deux géniteurs. En tout cas, une assez grande capacité en carburant (4200 litres internes), des réacteurs à double flux, et une voilure finement travaillée en font un avion d’assaut très performant pour l’époque.
Le Jaguar est doté d’une grosse capacité d’emport à son poids maximal au décollage (15 000 kg). De plus, une fois débarrassé de son chargement, le Jaguar jouit d’une bonne manoeuvrabilité dans le domaine de la basse à moyenne altitude.
Les Jaguar ont été déployés dans un nombre record de théâtres d’opération du milieu des années 70 au milieu des années 2000. Ces qualités intrinsèques et le haut standard d’entraînement en vigueur en France et au Royaume-Uni vont faire du « Jag » un vecteur unanimement apprécié dans sa mission.
Tant et si bien que les Indiens modernisent encore aujourd’hui leur flotte de Jaguar (l’Inde a été le principal client export du Jaguar, avec un total de 177 exemplaires, approximativement). Cinq escadrons en sont dotés.
Le Jaguar a connu quelque succès à l’exportation, sous l’impulsion des Britanniques: outre l’Inde, l’Equateur (12 ex), le Nigeria (18 ex), le Sultanat d’Oman (24 ex), commandèrent des Jaguar dérivés du modèle S. Ce dernier utilise toujours le Jag au sein de deux escadrons.
Dans le même temps, Dassault commercialisait les Mirage V ou F-1, ce qui entravera peut-être des ventes plus importantes du Jaguar.
Deuxième partie:
Le premier Jaguar de série fut admis au CEAM le 4 mai 1972, et introduit en unité opérationnelle le 24 mai 1973, lorsque 6 avions (4 monoplaces et 2 biplaces) du 1/7 Provence touchèrent la piste de la base de St-Dizier.
Dans l’Armée de l’Air, le Jaguar se vit confier un panel de missions très étendu, selon les unités considérées:
– frappe nucléaire tactique avec la bombe AN 52 (7ème Escadre),
– attaque au sol classique à l’aide d’une panoplie de bombes, roquettes, …,
– attaque de précision avec des armes guidées laser (missile AS-30L, bombes guidées laser),
– attaque anti-radar avec le missile AS 37 Martel (EC 3/3 Ardennes),
– guerre électronique avec des pods externes CT 51 de brouillage (EC 2/11 Vosges),
– reconnaissance avec sa caméra Omera 40 ou le pod ventral RP 36P contenant 3 caméras)
La mission secondaire peut également être la défense aérienne de zone, à basse altitude.
Les Jaguar A de l’Armée de l’Air ont subi relativement peu de modifications significatives tout au long de leur carrière:
– montage du télémètre laser (à partir du A 81),
– mise en compatibilité avec la nacelle Atlis (à partir du A 131),
– introduction d’un pilote automatique à fonctionnalité limitée,
– adjonction d’un GPS permettant de recaler le système de navigation Doppler.
Les Jaguar E possèdent les deux canons, mais sont dépourvus du système de navigation Doppler et des équipements pour tirer des armes guidées.
Le Jaguar a connu un taux d’accident assez modéré sous les couleurs françaises, compte-tenu de son emploi dans des missions assez exposées (basse altitude, mauvais temps, opérations extérieures): on dénombre 47 Jaguar A et 10 « E » détruits en accidents aériens, soit 30% de la flotte en plus de trente années de service.
Une partie de l’attrition est due au feu ennemi (trois avions perdus: en 1984 et 1988 au Tchad, en 1991 en Irak). Dans plusieurs cas, le retour au sol « en douceur » du Jaguar résultat de la configuration bimoteur de l’appareil.
L’Armée de l’Air a retiré ses derniers Jaguar du service le 1er juillet 2005.
Les Jaguar français ont été engagés lors de nombreuses opérations extérieures:
– de novembre 1977 à mai 1978, depuis Dakar, contre les colonnes du Front Polisario, alors en conflit avec la Mauritanie (Opération Lamantin).
– d’avril 1978 à début 1980, au Tchad, pour soutenir le gouvernement en place contre les rebelles du FroLiNaT (Opération Tacaud). Au moins 4 avions et 2 pilotes sont perdus durant ces opérations, pour cause d’accident ou sous le feu ennemi.
– en 1983/1984 au Tchad dans le cadre de l’Opération Manta. Le 25 janvier 1984, un avion est abattu par un canon anti-aérien alors qu’il survole une colonne rebelle, son pilote est tué.
– en 1986/1987 au Tchad dans le cadre de l’Opération Epervier, avec notamment le célèbre raid sur la base aérienne libyenne de Ouadi-Doum, entrepris le 16 février 1986 depuis Bangui (Centrafrique), et un autre contre les installations anti-aériennes de cette même base le 7 janvier 1987.
– en août-septembre 1986 au Togo, avec de simples démonstrations pour soutenir le gouvernement en place.
– lors de la guerre du Golfe, les Jaguar mènent la première mission offensive de l’Armée de l’Air, contre la base koweïtienne d’Al-Jaber. Quatre avions sont touchés par des tirs de DCA après avoir survolé à basse altitude un PC irakien puissamment défendu mais non renseigné lors du briefing. Les missions suivantes se feront à moyenne altitude. Les Jaguar français effectueront au total 615 sorties et 1088 heures de vol lors de Desert Storm.
– en 1993/1994, en Turquie, pour des missions de reconnaissance sur le nord de l’Irak dans le cadre de l’opération Provide Comfort.
– en 1994, au Rwanda, en support de l’Opération Turquoise faisant suite au génocide des Tutsi.
– de 1993 à 1999 lors des différentes opérations liées à la guerre de Bosnie puis du Kosovo.
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Remerciements: à Jean-François Lipka et Michel Jamar, pour des clichés de grande qualité.
Référence: Jaguar, le félin en action. Alain Vézin, ETAI Editions: 264 pp.