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Mais au fait qu’est-ce qu’un alcyon, avec un ‘a’ minuscule ? C’est dans la mythologie grecque qu’il faut aller le débusquer : oiseau fabuleux donc, dédié à la Néréide Thétis, sorte de cygne marin réputé faire son nid sur la crête des vagues … fantaisie poétique grecque qui voua ce volatile à l’extinction avant même son apparition effective dans le concert des espèces !
A oiseau marin, avion marin ?… pas du tout ! Et pourtant la Marine Nationale s’en dota, tout comme l’Armée de l’Air qui le voua à l’écolage de début pour succéder à la dynastie des SIPA 11, 12, 121. La machine était triplace mais à double commande, conception ubuesque qui privait le troisième homme de tout accès aux commandes, lequel devait se contenter d’observer les gestes de la place avant et d’écouter les conseils du moniteur car il avait quand même droit à l’interphone. C’était peu mais cela pouvait faire gagner du temps : à la permutation de l’arrière à l’avant, on pouvait espérer que l’élève-2 ayant noté les maladresses de son camarade-1, n’allait pas les répéter ! Le problème était qu’il fallait se poser pour procéder à l’échange des élèves, d’où deux sorties tout de même. L’économie n’était donc pas vraiment au rendez-vous …
Conception de l’après-guerre immédiate cet appareil plus touristique que guerrier était paraît-il destiné à préparer les débutants au Fouga CM170, leur premier réacteur. La propulsion à réaction encore peu connue (au début de la décennie 1950-60) incitait au plus grand des respects … En fait à l’usage, le Fouga (surnommé la bicyclette) s’avéra plus simple à la prise en main que tous les avions à hélice et à roulette de queue et paradoxe absolu, lorsque toute la formation passa au seul réacteur, le retour à l’hélice pour les besoins spécifiques du maintien de l’ordre en Algérie posa plus de problèmes à ceux qui n’avaient connu que la réaction.
L’Alcyon, avion de début donc, alors que la guerre d’Algérie débutait elle aussi … Le choix s’imposa de lui-même d’autant qu’une réserve de ces avions existait à l’Ecole de l’Air en quantité suffisante pour faire face (devise de l’Ecole !) à la demande immédiate. De plus certains appareils étaient déjà armés pour assurer l’instruction des élèves au tir air-sol. C’est ainsi que 12 pilotes, dont j’étais, issus pour la plupart des escadres de chasse, se retrouvèrent à Salon-de-Provence pour former la première escadrille d’avions légers d’appui, la future EALA 6/70.
A Salon, la transformation, qui se déroule en février 1956, dans un froid sibérien, s’étale sur 15 vols d’une durée totale de 12 heures, dont 4 en « sac de sable à l’arrière» sans toucher aux commandes ! Ce cursus n’aboutit qu’à une aptitude, celle de traverser la Méditerranée vers La Réghaïa avec escales à Ajaccio et Tunis. A La Réghaïa, les choses sérieuses commencent enfin : le B-A-BA du vol en montagne sur Morane 500 avec un instructeur patenté pour cette discipline qui nous vient du planeur, dont le Criquet (version française du Storch allemand) n’est pas très éloigné avec ses qualités aérodynamiques géniales ! Après quatre petits vols, nous reprenons nos MS.733 dont nous essayons de tirer la même chose sur trois sorties. Ce bref épisode se conclut par un seul et unique exercice de tir à Cherchell avec nos deux MAC 34 de 7,5 mm et un essai de manipulation du SCR 300 sur un vol de 2h55 ! Ce poste transportable à dos d’homme au sol, trouve en effet une place confortable à l’arrière, à portée de main de l’observateur.
La mise en place à Tebessa, notre base mère, s’effectue pour moi le 13 avril 1956 et le premier vol de guerre – alias Maintien de l’Ordre pour éviter ce terme brutal de « guerre » susceptible d’effrayer l’opinion – est daté du 16 avril suivant. Ce fut le premier d’une longue série d’« accompagnements-convois ».
Voilà donc ce cygne mythologique changé en aigle, à condition toutefois de le doter de ses serres : lance-bombes, supports roquettes et deux mitrailleuses calibre 7,5 mm noyées dans les ailes comme sur les chasseurs de 1940 et tirant en dehors du cercle de l’hélice, solution plus aérodynamique que sur le T-6 équipé de ses deux pods sous les ailes … il est vrai que pour garder un minimum de performances, la cellule devait être maintenue aussi lisse que possible, quitte à payer le prix fort pour les modifications. Ces mitrailleuses devaient être armées manuellement avant de pouvoir tirer la première cartouche et réarmées de la même manière en cas d’enrayage. Le levier qui actionnait mécaniquement la tringlerie était installé entre les deux sièges à portée de main du pilote et de l’observateur, ce qui faisait penser au frein à main de nos limousines. Sur cet avion aux performances modestes, le recul des armes pouvait être ressenti comme un coup de frein excessif auquel s’ajoutait psychiquement le coup de « frein à main » en cas d’enrayage !
Le ‘maintien de l’ordre’ deux ans après la Toussaint 1954 (début des hostilités) consiste le plus souvent à se montrer pour prévenir les mauvais coups, ce qui impose de voler la plupart du temps près du sol … et ce qui équivaut à une autorisation permanente pour le rase-mottes, le rase-poil ou le radada, ce que les anglo-saxons, résument en une unique formule bien sentie: « voler plus bas que le ventre du serpent dans les ornières du charriot de western ». On est donc loin des consignes de vol en métropole où le vol rasant est strictement interdit et se paye de mise à pied en cas d’infraction.
Avec une telle licence, chacun fait sans se faire prier, usage de cette nouvelle liberté et l’applique notamment aux missions d’ouverture des voies pour les convois routiers et ferrés. Voici donc le poussif Alcyon caracolant ventre à terre à 110 kts devant le convoi – affecté d’une lenteur désespérante et ralenti de plus par les pannes à répétition de véhicules fatigués et par les inévitables pauses du personnel – et avalant les kilomètres comme un coureur de formule 1, mais allant et venant sans cesse comme un bon chien de garde, jusqu’au poste où flotte l’emblème national et non le drapeau à damiers de l’arrivée ! Plaisir enivrant de voir défiler la piste souvent inégale en effaçant les cahots et le sable mouvant … Plaisir aussi de cabrer à tout instant et de prendre de la hauteur pour faire irruption sur les passages douteux propices aux embuscades … et ce faisant, assurer ce convoi de toute notre sollicitude morale autant que militaire !
Cela s’applique à une autre catégorie de nos missions : la RAV (reconnaissance à vue) et la quête du renseignement qui permet de se faire, mission après mission, une idée du dispositif ennemi et de ses mouvements. Travail de l’officier de renseignement de l’escadrille qui exploite les comptes-rendus de mission et pointe sur la carte du secteur les endroits où ont été signalés des indices de présence ou des anomalies sur le terrain …
Là encore, le vol rasant est la tactique la plus payante : il faut donc faire usage du relief pour s’approcher discrètement et déboucher sur le terrain avant que tout le monde n’ait eu le temps de plonger dans les trous individuels …
Les zones survolées sont souvent interdites à toute circulation, interdiction qu’il faut imposer aux hommes comme aux animaux: chevaux, ânes et dromadaires qui sont les moyens de transport courants, mais aussi moutons et caprins qui concourent à la logistique nourricière rebelle. Sur les victimes de la mission précédente, des hordes de charognards se disputent les restes et tournent indéfiniment dans le ciel … clients impossibles pour de vrais combats tournoyants qu’ils évitent en déployant une maniabilité que nous sommes bien incapables de suivre, ceux qui s’y sont risqués se sont vite découragés … et prudemment retirés ! Le sacrifice des animaux auxquels nous sommes contraints nous en apprend beaucoup sur les réactions animales face à nos attaques : moutons qui se regroupent au lieu de se disperser, chevaux qui détalent au grand galop, ânes et dromadaires qui se campent sur leurs quatre membres stoïquement, et sur lesquels il est inutile d’insister pour éviter d’y épuiser inutilement les munitions …
C’est le troisième volet de nos missions qui concerne notre participation aux opérations terrestres : le MS.733 a son rôle à jouer plutôt du côté de la gestion des moyens air. Il possède les liaisons HF avec les PGA (postes de guidage avancés) des unités terrestres et les liaisons VHF avec le PC AIR dont il relève, pour demander les appuis lourds, puis guider P-47 et Mistral sur leurs objectifs. Son armement lui permet à la rigueur d’intervenir en première instance et en l’absence d’autres moyens, mais dépourvu de blindage, sa vulnérabilité l’expose exagérément au feu ennemi, même de petit calibre, surtout quand des armes automatiques à grande cadence de tir sont présentes. De plus, son moteur ne lui permet pas les ressources que les attaques répétées exigent : après chaque passe il lui faut reprendre de l’altitude pour prononcer l’attaque suivante … ce qui ralentit sérieusement le rythme des opérations en cours.
« Avion jaune … avion jaune m’entendez-vous, répondez » Ainsi s’exprimait le brave opérateur au sol, peu à l’aise avec la procédure radio et qui ne parvenait pas à utiliser l’indicatif spécifique, soit parce qu’il ne l’avait pas noté au moment voulu, soit parce qu’il avait égaré le papier ! Cette appellation ‘d’avion jaune’ allait aussi bien au T-6 à son apparition, mais lorsque les T-6 perdirent leur couleur d’avion-école, pour l’aluminium plus guerrier, force fut pour les opérateurs de se plier à la procédure normale. Ce qui ne fut pas le cas pour nous dont les avions ne furent jamais repeints avant leur retrait des opérations courant 1957 !
L’ambiance particulière des opérations aéroterrestres ? Assez spéciale, il faut s’y arrêter un peu …
Au-delà de la coordination de l’appui, l’observateur aérien se doit de garder à tout instant une vue d’ensemble sur les positions amies et le déroulement du scénario, et plus l’opération est importante, plus elle engage d’unités et plus cela se complique … La fièvre monte alors et cela s’entend à la radio et se mesure à l’encombrement des fréquences … surtout sur le SCR 300 dont la qualité discutable oblige plus que jamais à la discipline des échanges et à la sobriété des messages. Le bruit de fond oblige de plus à augmenter le volume jusqu’à l’obtention d’une compréhension suffisante pour éviter les répétitions systématiques surtout lorsque les coordonnées des lieux sont transmises sous forme codée … Deux ou trois heures de ce régime mènent inexorablement à l’abrutissement et à la surdité ! Surdité qui perdura jusqu’au siècle suivant (le XXIème) !
Pour défendre ce petit guerrier d’occasion , je vais devoir me faire l’avocat du diable, ce qui va faire sourire mon ami Michel Brisson, lequel fut avocat aussi et pas seulement du diable !
Le remplacement du parc hétéroclite des débuts : MS.500 puis MS.733 + SIPA prélevés sur les écoles, par le seul T-6, fut-il avantageux en tous points ? Oui absolument, je ne me risquerai pas à nier l’évidence … et subir le tollé ! Les chiffres sont là comme preuve formelle, ce qui n’interdit pas les quelques observations à faire en toute impartialité (en principe):
– le T-6 pouvait s’acheter au prix de la ferraille chez les Américains alors que le MS.733 de conception plus moderne était probablement plus couteux. Des considérations purement économiques ont donc pu peser sur les décideurs … Ce qui n’est jamais bien rassurant. Rappelons aussi qu’à cette époque deux projets d’avions spécialisés anti-guérilla étaient dans les cartons des industriels : Potez 75 et MS.1500 tous deux abandonnés au stade prototype probablement en raison de leurs coûts de production …
– le moteur Pratt & Whitney de 600 ch pour le T-6, plus robuste et plus puissant que le Potez de 240 ch de son concurrent. Mais trop bruyant à la puissance de travail, à cause du son caractéristique provoqué paraît-il par ses bouts de pales en régime supersonique, qui a pu effrayer les rebelles au début, mais par la suite, a servi à coup sûr de sirène d’alerte. Dans ces conditions, où donc est la surprise lorsqu’on approche sur la pointe des pieds pour tomber sur le dos des gens sans crier « gare » ? Bien entendu, le petit moteur du MS.733 était beaucoup plus discret, et l’aurait été encore plus si on avait pu pratiquer l’approche moteur réduit ! En revanche, ce moteur était alimenté sur le dos, pour les vols prolongés dans cette configuration. On s’interroge sur le profit qu’on aurait pu tirer d’un tel avantage pour nos missions … Sur le coup, une sorte de compétition s’est instaurée entre pilotes qui ont eu la curiosité d’explorer ce domaine du vol malgré l’inconfort du pilotage suspendu dans les bretelles, les pieds retenus sur le palonnier par les sangles, et l’inversion des commandes : pousser sur le manche pour monter, tirer pour descendre … Aujourd’hui je n’y verrais qu’un seul intérêt : comme en meeting, le côté insolite de cette exhibition sur les positions rebelles, aurait pu exciter leur curiosité au point de les inciter à sortir de leur trou pour mieux voir et comprendre … mais aussi se trahir le plus bêtement du monde !
– l’armement nettement à l’avantage du T-6 avec 2 x 2 mitrailleuses en pod, d’une fiabilité autrement plus rassurante que celle de nos deux pétoires que l’on disait déjà fortement usagées sur certains avions …, roquettes T10 à charge creuse, inefficaces contre un personnel dispersé dans la nature. On ne comprend toujours pas cette persistance à nous ravitailler en munitions de ce type, destinées à percer des centimètres de blindages qu’aucune troupe rebelle ne nous opposait … Pour les deux avions, frustration égale sur ce chapitre … mais avantage décisif pour les paniers SNEB du T-6, avec un bémol de taille : seul l’avion du leader en était équipé … pénurie … et préséance du chef sur son équipier en sont les seules explications. Et enfin, 4 lance-bombes sur le T-6 contre 2 pour le MS.733. Tout cet armement emmené « pour le cas où » en mission de reconnaissance pénalisait le T-6 plus que le MS.733, en l’absence d’objectif à traiter. Notons que les panoplies des deux avions ne dispensaient pas pour autant de faire appel aux avions d’appui spécialisés lorsque des objectifs sérieux exigeaient d’être traités par des munitions plus appropriées …
– enfin, le dernier atout de l’Alcyon, celui d’être biplace côte à côte, pour communiquer avec l’observateur, sans passer obligatoirement par l’interphone, et au besoin par gestes : l’encourager quand les fellaghas lui donnent du fil à retordre, le calmer quand il s’énerve contre les « trosols », lui donner les commandes au retour pour qu’enfin il se détende … mais lui taper sur les doigts quand il a perdu le nord et ne sait plus ramener l’avion à la maison !
Avantage donc sans conteste au T-6, jusqu’à l’arrivée du T-28 qui surclassa tout le menu fretin, en offrant sur un seul appareil, capacités d’observation grâce à sa grande verrière, et puissance de feu capable de concurrencer celle du P-47 armé de 12,7 … mais certainement pas celle du Skyraider qui fut – comme on le sait – décisive en fin de conflit – puisque nous pûmes nous attarder quelques mois encore après le cessez le feu et retraverser la Méditerranée en sens inverse, tranquillement et sans se presser !
Copyright : Jean Merlet et escadrilles.org
Remerciements: à Alain Crosnier, qui a bien voulu mettre des archives photos à notre disposition.