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L’Allemagne romantique de Goethe et Schiller … à 500 pieds et 450 noeuds.
Un romantisme de forme très géométrique qui saute aux yeux lorsque l’on déplie la carte au 1/100.000ème de notre secteur français du Baden-Würtemberg et dont on retrouve l’exacte réplique au sol en survolant cette région à 500 pieds-sol (150m) et 14 km/min qui sont les paramètres de vol pour l’assaut à vue. Par la même occasion on découvre que le cheminement à vue aussi près du sol est bien plus facile en Allemagne qu’en France où un romantisme beaucoup moins tiré au cordeau peut conduire plus souvent à l’errance et aux échecs répétés des attaques d’objectifs. Pour avoir subi les destructions systématiques de la dernière guerre, les Allemands peuvent avoir quelques regrets d’avoir eu tant de goût pour la rigueur des formes, ce qui est moins évident aujourd’hui où les aides automatiques à la navigation se jouent de la difficulté des terrains.
Nous sommes en janvier 1959. Le général de Gaulle qui n’est que dans l’allée du pouvoir, n’a pas encore pu imposer ses conceptions stratégiques et nous sommes pour quelque temps encore bien intégrés dans le dispositif OTAN dont on profite des moyens, méthodes et techniques de préparation au combat. A une exception près qui sera la pierre d’achoppement entre le Général et les Américains : on peut bénéficier de l’armement nucléaire -on parle déjà des armes tactiques destinées au théâtre d’opérations- mais à condition d’accepter que les Américains détiennent seuls la clé qui en permet l’emploi .
Nos F-84F qui nous viennent des USA au titre du PAM (Programme d’Assistance Militaire) sont au standard US et ont à quelques exceptions près, les équipements qui nous rendent et maintiennent interopérables avec les autres appareils de l’OTAN.
La logistique – maintenance, pièces détachées, munitions – fonctionne sur le même principe et nous avons même à Bremgarten, notre stationnement, un ingénieur US à demeure qui nous vient du constructeur, la Republic Aviation Corporation (RAC), sur lequel on peut compter pour les questions techniques, les relations avec les autorités US et … les joyeuses sorties du week-end dans les boites à strip du Freiburg by night !
Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec le MSQ ? J’y viens…
Le MSQ fait justement partie des équipements spéciaux du Thunderstreak qu’on ne voit pas sur les avions français tels que le Mystère IV, qui équipe les escadres de défense aérienne mais, polyvalence oblige, peuvent se voir engagées aussi dans les missions d’appui au sol.
L’AN/MSQ 1A fut au départ l’instrument spécialisé du Ground Directory Bombing (GDB) mis au point lors de la guerre de Corée pour améliorer la précision des impacts y compris en conditions de visibilité médiocre ou nulle alors que le système de localisation des cibles par le GPS n’était pas encore disponible. Il nécessitait une station radar spécifique à terre. Le MSQ prenait à son compte le run du bombardement classique à haute altitude à partir d’un point initial, du cap vers la cible, des paramètres du vol (altitude, vitesse ) et extérieurs au vol (force et direction du vent, correction de dérive, relief survolé), et indiquait au pilote le top de largage. Dans sa forme simulation, dont on se servait pour l’entraînement, ce système fournissait le simulated Bomb Release Point (BRP) et le Simulated Bomb Impact (SBI) par ses coordonnées géographiques.
Par la suite, le MSQ connut plusieurs évolutions puisqu’il fut largement utilisé au Vietnam aussi bien pour le bombardement stratégique (B-52) que pour le tactique (F-100, F-105, F-4 …)
Mais revenons-en à l’expérience réellement vécue à la 4ème Escadre de Chasse à Bremgarten jusqu’en juillet 1961, date à partir de laquelle eut lieu l’échange des stationnements avec la 11ème Escadre de chasse équipée de F-100 nucléaires et basée à Luxeuil. Le général de Gaulle, homme d’ordre, avait tout simplement décidé dans un premier temps d’expédier les deux escadres nucléaires françaises (la 3 et la 11) sous contrôle américain, en Allemagne … puis dans un deuxième temps de mettre fin purement et simplement au stationnement américain et canadien en France.
Intrigué aujourd’hui par cette affaire de MSQ qu’à plus de 50 ans d’écart j’avais vu s’évanouir dans ma mémoire, je reprends mes carnets de vol et j’ouvre le deuxième tome à la période Bremgarten. J’y trouve entre le 14 juin 1960 et le 22 novembre 1961, 6 missions où sont associés les termes pré-ADIZ et MSQ, missions d’entraînement où seule la fonction simulation du MSQ était utilisée et je me revois bien calé sur mon siège à 30/40.000’, à la vitesse indiquée demandée par le poste de contrôle, et recevant les caps à suivre à deux degrés près sur un cadran spécifique de mon tableau de bord, jusqu’au top de largage de la bombe fictive dont les coordonnées calculées de l’impact nous parvenaient ensuite par message à notre salle d’opérations. La mention pré-ADIZ associée à ces missions les situait géographiquement en territoire sous contrôle serré américain, en retrait de l’ADIZ proprement dite, a priori interdite à tout survol ami ou ennemi (1).
A Chaumont, dans le même temps, donc à 20 mn de vol de Bremgarten , Richard Bach écrivain de renom et pilote US, sur le même avion, raconte dans son livre Stranger to the ground que son unité avec un temps d’avance sur nous, s’entraînait au LABS (Low Altitude Bombing System) procédure spécifique au bombardement nucléaire tactique ou stratégique où le système de contrôle au sol plus performant que notre MSQ ‘azimut seul’, était capable de prendre l’avion en approche à basse altitude, de suivre sa trajectoire et de déclencher la bombe au moment précis à partir duquel l’objectif devait être atteint avec certitude et ce, quelles que soient les types d’attaque et d’évasive choisis par le pilote entre les deux possibilités offertes : ‘pop up’ ou ‘over the shoulder’ (2).
En même temps, voici que réapparaissent dans notre espace aérien les sinistres croix noires de la dernière guerre sur des F-84F allemands exactement identiques aux nôtres, la première rencontre début 1959 est plus qu’un coup au cœur, surtout pour ceux qui sont assez anciens pour les avoir affrontés … Il est vrai que ce ne sont pas les mêmes emblèmes : la croix de Malte essaie, sans y réussir, de faire oublier les croix hitlériennes…
Confrontés aux ambitions hégémoniques du bloc soviétique sur l’Europe occidentale, l’OTAN au moyen duquel les USA tentent de faire face, ont poussé à l’entrée de l’Allemagne fédérale dans l’alliance et ont pris en charge la remise sur pied d’une force aérienne tactique au standard US, intégrée à la 4ème ATAF.
Avec l’efficacité américaine, les choses sont allées très vite : juillet 1958, début de l’entraînement aux missions tactiques (y compris la mission nucléaire) et 1er janvier 1959 … la première unité est déclarée opérationnelle.
L’Allemagne aligne de ce fait la plus grosse flotte de F/RF-84F européens avec plus de 500 unités ! Au chapitre du nucléaire tactique, les pilotes germaniques ont été formés et pratiquent les deux types d’attaques : le HABS High Altitude Bombing System et le LABS déjà cité (3).
Anecdote qui campe bien l’esprit des pilotes de chasse de notre époque : au moment de l’échange de nos bases avec la 11ème EC, il y eut une courte cohabitation à Luxeuil, entre escadrons rivaux avec rencontre notamment au mess où les pilotes de la 11 snobaient leurs vis-à-vis de la 4 en leur faisant des démonstrations de bombardement ‘over the shoulder’ … avec les munitions immédiatement disponibles que l’on trouve communément dans les mess !
Les équipages de Rafale et Mirage 2000 ne peuvent pas être moins sérieux aujourd’hui, me semble-t-il !
Ainsi avec la ‘Special Delivery’ sur F-84F associée au LABS , avec possibilité de ravitaillement en vol (4) que nous pouvions espérer utiliser un jour sur nos avions et le feu vert pour pénétrer dans l’ADIZ et au-delà, nous avions là les constituants de la « boîte à outils » type pour la mission d’attaque nucléaire tactique dans notre théâtre d’opérations.
Ce qui me fait dire que nous, 4ème escadre de chasse, avons à un court moment de notre histoire, été à deux doigts, sans le savoir, d’être avec les 3ème et 11ème escadres les premières unités tactiques nucléaires françaises – toutefois sous férule américaine – avant l’entrée en scène du couple Mirages IIIE/AN52 de la FATAC et des Mirage IV de la Force de Dissuasion à la française, essentiellement nationale, indépendante de l’OTAN .
Mais il m’aura fallu une enquête à la Sherlock-Holmes pour arriver à le démontrer !
Notes, glossaire, références
(1) Pour recevoir une piqure de rappel sur les notions de pré-ADIZ, et d’ADIZ, se reporter sur escadrilles.org à l’article Missions de guerre sur F-84F de notre camarade Michel Brisson, illustre ancien de la 9ème Escadre qui sera peut-être étonné d’apprendre qu’il aurait pu être « NUC » si son escadre avait poursuivi son destin à Lahr.
(2) Pop-up ou Over the shoulder, dans les deux cas, l’approche s’effectue à grande vitesse et à basse altitude puis l’avion cabre, mais:
– dans le ‘Pop-up’, avant l’objectif, le point de largage calculé et commandé par le système au sol, se situe entre 20 et 70° de cabré et la bombe suit une trajectoire balistique directe vers l’objectif, tandis que l’avion effectue son évasive par une demi boucle suivie d’un demi tonneau pour s’éloigner dans la direction opposée.
– dans le ‘Over the shoulder’, après l’objectif, le largage est commandé par le système au-delà des 90° de cabré pour que le projectile retombe en arrière sur l’objectif, tandis que l’avion a le choix entre deux évasives : soit continuer la boucle jusque sous l’horizon et revenir à l’horizontale par un demi tonneau, soit terminer la boucle et s’éloigner au plus vite du point d’impact, ce qui semble être la manoeuvre la plus sûre pour ne pas s’auto-bombarder !.
(3) L’histoire des F-84F allemands est relatée dans le fascicule de Siegfried Wache « The Thunderstreak in Luftwaffe Service » édité par AirDOC-Aircraft Documentations.
(4) Successeur et dérivé du F-84G déjà équipé pour le ravitaillement en vol, le F bénéficiait du même dispositif à l’emplanture de l’aile gauche. Une photo d’un ravitaillement en vol effectué sur un F-84G montre que le receveur en position stable, laisse le boom operator assurer seul la connexion et le transfert du carburant dans le réservoir du receveur. Parfaitement dissimulé sous une trappe étanche, et jamais utilisé, ce dispositif a pu passer totalement inaperçu pour beaucoup d’entre nous. La formule perche-panier, semblant plus opérationnelle, a en partie supplanté la technique ‘flying boom’, qui est cependant toujours la préférée de l’USAF.
Copyright: Jean Merlet et escadrilles.org
Remerciements: à Christian Boisselon, Frédy Bornert et Gérard Schaub pour leurs contributions photographiques.