Le 24 juin 1962 marque un tournant dans la guerre aérienne au Vietnam : pour la première fois un missile SA-2 (ou S75 Dvina) abat un F-4 Phantom, près d’Hanoi. Les SAM font désormais partie des menaces auxquelles les équipages américains doivent faire face, en plus de l’artillerie guidée par radar ; les SA-2 s’adjugeront un grand nombre de pertes américaines.
La mission Wild Weasel constitue la seule parade efficace à l’époque : elle consiste à se faire ‘allumer’ par un radar de tir, à tirer des missiles antiradar, puis à exécuter une évasive pour déjouer l’attaque des missiles, et enfin à détruire l’ensemble du site de lancement à la bombe. Ce sont généralement des patrouilles de quatre avions qui sont chargés de détruire un site, en amont d’un strike plus important visant un objectif protégé par le site de SAM.
Chronologiquement, les missions Wild Weasel de l’USAF furent d’abord effectuées par un petit escadron de F-100F basé à Korat TAFB. Rapidement l’USAF s’aperçut que le Super Sabre était trop vulnérable pour cette mission. Les équipages Wild Weasel étaient des volontaires affectés à cette unité spéciale, les missions de suppression de SAM étant les plus dangereuses de toutes.
Le Thunderchief succéda immédiatement aux EF-100F Weasel qui furent testés opérationnellement au Vietnam en 1965-66. Les missions Wild Weasel furent d’abord effectuées par des F-105F équipés de pods électroniques en points externes des ailes, avec des scopes de visualisation des menaces radar en place arrière, le royaume des EWO (electronic warfare officer), comme sur le F-100. Puis le F-105G fut développé pour libérer les points d’emports externes pour des missiles AGM-45A Shrike.
Peu différent du F-105F, biplace opérationnel, le F-105G est issu de la modification de 66 cellules de ‘F’ normaux (certaines sources disent 81) par intégration des pods électroniques de détection et de brouillage des radars dans deux carénages le long du fuselage. A partir de 1968, les F-105G utilisèrent le Standard-ARM AGM-78A, un missile plus lourd avec un plus grand domaine de tir : résultat, un taux de réussite de 20% pour les STARM, beaucoup mieux que pour les Shrike. Les nord-Vietnamiens adaptèrent leurs modes opérationnels, ainsi que les Américains … la guerre électronique prit pleinement son essor.
Le F-105G Wild Weasel est resté une légende en raison du danger des missions effectuées par les escadrons spécialisés des 355th et 388th TFW, respectivement de Takhli et de Korat. Les équipages pilote-EWO étaient constitués pour la durée d’un ‘tour’, sauf si … Historiquement, une minorité de ces équipages Wild Weasel réussirent à boucler leur ‘tour’ de 100 missions. L’action de ces aviateurs contribua à maintenir le taux de pertes en combat à un niveau considéré comme ‘acceptable’ …
C’est donc auréolés d’une réputation de combattants sans peur que les F-105G et F firent leur apparition à Dobbins AFB (Marietta) en 1979 … ils venaient prendre le relais des F-100D/F ! Lorsque je fis mon entrée dans l’antre du 128th Tactical Fighter Squadron (116th TFW), le parking de la Georgia ANG était déjà bien fourni en … F-4D : en avril 1983, le Thunderchief vivait ses dernières semaines, du moins dans sa version F-105G.
Heureusement, les Thunderchief et Wild Weasel étaient encore suffisamment nombreux pour que j’oublie ces biréacteurs irrespectueux envers leurs anciens, qui osaient fumer comme des pompiers sans égard pour les vétérans ! Sous un ciel bleu arrogant, la dizaine de F-105 aurait piqué les yeux de n’importe qui, même s’ils n’avaient pas été sharkmouthés …
Les dents de requins agrémentaient parfaitement la longue silhouette des F-105G et F, avec cette dérive agrandie spécialement pour maintenir la bonne stabilité en lacet de l’ultime rejeton de chez Republic.
Quelques avions portaient un camouflage ‘all-around’ très seyant et utile pour un chasseur tactique destiné à tourner des évasives acrobatiques en basse altitude. Sur le tarmac des mécaniciens préparaient deux 105 (des Phantom aussi, mais bon). Bien que l’avion fut à un mois de son départ, on connait la passion des hommes pour l’entretien de ces magnifiques machines volantes … ça fait rêver, un avion !
Le retour d’un F-105F marqua le réveil progressif du tarmac du 128th TFS : un seul homme à bord, comme pour les deux avions qui achevaient d’être préparés. Un petit regret, celui de ne pas avoir pris une place de backseater. Néanmoins, le sifflement des J-75 éclipsa bientôt le bruit des groupes de démarrage … une délicieuse odeur de kéro brûlé vint dilater mes alvéoles pulmonaires, instantanément mon coeur battit plus vite et plus fort. Observer, photographier … toute autre pensée s’évacua instantanément … et nul besoin d’un cerbère pour savoir ce qu’il faut faire et ne pas faire.
Place arrière … dans le pick-up Dodge kaki et en route pour la last-chance area, près du seuil de piste où bientôt la patrouille de F-105 prendra place. Les pistards prennent pas mal de temps pour vérifier que chacune des bêtes est bien parée pour un entraînement sans histoire : une séance de tir canon sur un range voisin. Il ne s’agirait pas qu’un accident vienne affecter l’unité qui bénéficie d’un record de sécurité des vols hérité de sa période F-100.
Bientôt c’est le terrible rugissement des Pratt & Whitney qui fait trembler l’air et le sol. Les Thunderchief décollent à 15 secondes. Déjà une patrouille de Phantom (trois avions) a pris leur place en bout de piste ; les checks sont plus courts : jolis quand même avec leur peinture SE Asia toute neuve et leur radome noir immaculé. Les Phantom resteront moins longtemps que les F-105 à Dobbins AFB : de 1983 à 1986.
Retour avec une surprise pour le reporter : un passage en box avec deux F-105 ailiers gauche et droit d’un F-4D, puis remise de gaz. Retour au break de la patrouille mixte Thunderchief-Phantom : quelle différence d’aérodynamique entre ces deux chasseurs, l’un fin comme une flèche, l’autre presque carré. Les connaisseurs sauront en déduire les conséquences en terme de qualités de vol.
Puis les atterrissages se succèdent : la vitesse en finale du F-105 dépasse celle du Mirage III, près de 200 kts s’il reste un peu de pétrole, et même celle du F-104G, avec un décrochage à 160 noeuds (délesté, en lisse). Le F-105 n’est pas un avion de débutant ; malgré certains surnoms peu flatteurs tels que lead sled (traîneau de plomb), beaucoup de ses pilotes ont déclaré que le Thunderchief avait été leur préféré (mais rares sont les pilotes qui dénigrent un avion avec lequel ils ont volé des milliers d’heures).
La fin d’après-midi approche, le temps pour moi de quitter la chaude ambiance de Dobbins AFB pour la gare de bus … direction le nord-est des USA où j’ai un autre rendez-vous.
Pour la Georgia ANG, les décennies qui suivirent furent mouvementées, avec cinq avions, trois missions et deux bases différentes : F-4D, puis F-15A (1986-1996), avec à l’issue une migration vers Robins AFB pour former un Wing composite avec l’USAF régulière, sur B-1B Lancer. Enfin en 2002, le 116th devint un Air Control Wing, avec une mission de contrôle de champ de bataille, sur Boeing E-8C Joint STARS.
Aujourd’hui, 38 années après la fin des F-105, le 128th Airborne Command and Control Squadron de la Georgia Air National Guard officie toujours sur E-8C.
Le temps des Thunderchief est oublié … sauf pour Escadrilles.
Copyright : Alexandre et escadrilles.org
Acknowledgments : to the Guardsmen for their warm welcome at Dobbins AFB, Marietta, where I spent an unforgettable moment with pieces of legend, in April 1983. This report was never published in the magazine due to a temporary bottleneck effect at the edition stage. Nevertheless, it comes to light 38 years later … better late than never.