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Le F-100, un avion d’homme

Un avion de guerre, parfaitement adapté à sa mission.

Au Vietnam en 1968

Le F-100 est imposant, robuste, rustique, lourd. Il pèse quinze tonnes sans charges extérieures, presque vingt tonnes à la masse maximum. C’est un chasseur-bombardier qui a pu être comparé à un char, un gros camion, ou une locomotive à vapeur. Il a été conçu pour transporter et tirer principalement des munitions air-sol, lourdes et nombreuses, mais il prend aussi l’alerte de Défense Aérienne, avec quatre canons de 20mm et deux Sidewinder.

Rustique et imposant, ici au 1/11 en 1976

L’avion est rustique. Par exemple, il ne possède pas d’indication précise du fonctionnement de la post-combustion: « Ne vous inquiétez pas. Quand elle fonctionne, vous le savez ». Il faut dire que la P.C. est à peine régulée à la différence de celles que nous connaissons aujourd’hui: elle s’enclenche à la puissance maximum. Au décollage la poussée du moteur passe brutalement de 4600 kg à 7200 kg. Le coup de pied au c… est net, le débitmètre s’en donne à cœur joie, « ça décoiffe ». En altitude son allumage peut prendre quelques secondes et doit se faire de préférence la bille au milieu, et sans facteur de charge. Pour faire décrocher le compresseur il faut le vouloir: celui-ci fait brutalement et bruyamment part de son agacement.

BOUM … pas encore de ‘Section péril aviaire’

Un jour, un pilote qui avait peut-être coupé la P.C. un peu tôt en décollant de Bremgarten dans cette configuration, a eu des sueurs froides après le décollage. A l’atterrissage, il a raconté : « quand j’ai vu passer Fribourg, j’ai cru que j’étais dans le train. » Comme la ville de Fribourg est à une bonne quinzaine de kilomètres de la piste, il est possible qu’il ait un peu exagéré …

Volets en position décollage pour le 42186 juste arrivé à Djibouti (1974)

Pas d’indicateur non plus pour donner la position des volets de courbure : « Vérifiez bien en regardant dans le rétroviseur ». En 1966, la manette de commande des volets n’a que deux positions : rentrés pour le décollage et le vol, ou sortis pour l’atterrissage. Quand nous décollons avec quatre réservoirs supplémentaires, l’avion est très lourd et il nous faut mettre les volets sur une position « décollage », repérée par un trait de peinture sur le fuselage. Pour y arriver, le mécano de piste nous fait signe de sortir les volets en position « atterrissage » puis de les rentrer. Pendant le mouvement de rentrée, sur un panneau à gauche dans la cabine, le pilote saisit le « breaker flaps » entre ses doigts. Quand les volets arrivent au niveau du repère peint sur le fuselage, le mécano lève la main. Le pilote tire le breaker vers le haut, coupant ainsi le circuit de commande. Les volets restent bloqués dans la bonne position. Après le décollage, il suffit au pilote d’enfoncer, sans pouvoir le regarder, le breaker qu’il sent dépasser au milieu des autres. Les volets rentrent alors complètement et le vol peut se poursuivre normalement. Quelques années plus tard les P.C. seront mieux régulées, et une position « décollage » sera installée sur le circuit de commande des volets. Tous les décollages se feront avec « un cran ».

Au roulage à Metz-Frescaty en 1975, le 56-3938 ‘EZ’

La cabine du F-100 manque de finition. Nos combinaisons et nos blousons de vol sont souvent déchirés par les écrous et par extrémités des boulons qui dépassent de la structure. On voit des câblages et des fils électriques qui courent dans les « tripes » de la cabine.

Rusticité pour les mécaniciens … ici un avion du 4/11 à Djibouti

Pour mettre en route le réacteur du F-100 on utilise un petit camion, le M.A.2, sur lequel est installé un petit réacteur qui fournit l’air comprimé nécessaire au démarrage.

Hiver 77 : le 42154 avec son MA.2 de démarrage

Approche, atterrissage

Le F-100 est une locomotive. Si le pilote respecte le circuit d’atterrissage standard, tel qu’il a été prévu par les « cowboys », c’est-à-dire sans toucher à la manette des gaz entre l’arrivée au dessus de l’entrée de la piste pour le break, stable à 1500 pieds – 300 kts, et le toucher des roues, l’avion ne cherchera pas (trop) à en sortir.

Break en piste 22 de la BA 136

Comme toutes les locomotives, le F-100 n’est pas facile à arrêter. Le parachute de freinage n’est pas toujours très fiable, les freins ne sont guère efficaces et la poussée résiduelle du réacteur, au ralenti, est importante. C’est pour toutes ces raisons qu’à Toul, où la piste descend vers le sud, la 04 reste en service jusqu’à 10 kt de vent arrière.

Premier avion en finale, avion lisse : peut-être un ‘jeune’

Les choses sérieuses commencent quand les roues de l’avion touchent la piste. D’abord, le pilote réduit à fond le moteur et sort l’aérofrein. Puis il laisse la roue avant prendre contact avec la piste. De cette manière, il peut enclencher le « nosewheel », système très pratique qui permet d’orienter la roue avant à l’aide du palonnier.

Second avion, un biplace : peut-être un ‘vieux’

Quand le « nosewheel » est enclenché, le pilote déclenche l’ouverture du parachute frein qui est plié sous la tuyère, et rentre les volets d’atterrissage pour diminuer la portance. Cela charge les roues principales et augmente l’efficacité des freins. Ensuite il commence à freiner après avoir attendu que l’avion ait ralenti à la vitesse maximum autorisée pour le faire. Cette vitesse varie avec la masse de l’avion et doit être calculée pour chaque atterrissage. Quand tout se passe bien, l’avion s’arrête sans problème et le pilote peut se détendre.

Train avant, équipé d’un ‘nose-wheel steering’ indispensable

Il arrive que le parachute ne s’ouvre pas, qu’il se déchire ou qu’il éclate à l’ouverture. Comme l’avion a les trois roues sur la piste, il n’y a plus de freinage aérodynamique et comme les volets sont rentrés, il n’est pratiquement plus possible de redécoller et de faire une nouvelle présentation. Immédiatement, le pilote doit couper le moteur pour éliminer la poussée résiduelle et attendre que la vitesse maximum de freinage, qu’il a calculée, soit atteinte. Comme le moteur est coupé, il n’y a plus de pression hydraulique et le « nosewheel » ne fonctionne pas. Les freins sont alimentés par leur pompe de secours, qui fonctionne uniquement à l’aide de la batterie. Ils sont nettement moins efficaces qu’en fonctionnement normal.

Pas d’incident de parachute pour ce pilote le 30 mai 1976

De nuit, par vent de travers et sous la pluie, l’exercice mérite le détour.

Le Delta Pi, la remise de gaz et la P.C.

Le « Delta Pi », c’est l’EPR (Engine Pressure Ratio), qui renseigne sur la poussée instantanée fournie par le réacteur en affichant le rapport des pressions de l’air qui le traverse. Avant chaque décollage la tour de contrôle donne la valeur du Delta Pi, qui dépend de la température extérieure. Dans la cabine le pilote positionne le curseur, à la bonne valeur, sur l’instrument correspondant. Quand le moteur est plein gaz, l’aiguille du Delta PI doit être en face du curseur. L’indication du tachymètre, instrument habituellement fondamental pour la conduite du moteur, devient presque secondaire.

Avec sa tuyère marquée par les surchauffes, le F-100 méritait le terme ‘lampe à souder’

L’allumage de la P.C. se fait en deux temps et deux secondes au maximum à basse altitude :

– temps 1 : des vérins, actionnés par le carburant, ouvrent les volets de tuyère. La surface de sortie des gaz est pratiquement doublée, la valeur du « Delta Pi » chute et la poussée diminue fortement. Le carburant est injecté dans la PC.

– temps 2 : Le carburant est allumé. L’aiguille du « Delta Pi » remonte à sa valeur initiale, la poussée est augmentée de 60% par rapport à « plein gaz sec ». Au décollage par exemple, elle passe de 4600 à 7200 kg.

En remise de gaz, si la PC ne s’allume pas dans les deux secondes, l’avion, tuyère ouverte, manque de poussée et le pilote est ‘mal’. Le temps de replacer la manette sur le secteur « pleins gaz sec » pour fermer la tuyère et retrouver la poussée normale, il a pu se passer des choses… C’est pour cette raison que nous ne passions pas la PC en remise de gaz.

La PC était indispensable pour faire décoller un F-100 chargé en pétrole

En altitude l’allumage de la PC pouvait être assez long (5 sec maxi) et quelques tuyères ont été un peu soudées à l’allumage par des pilotes obstinés, qui ont attendu trop longtemps.

Il faut aussi surveiller le niveau du carburant restant dans le réservoir principal, pas très volumineux. Le débit instantané des pompes de transfert ne suffit pas pour compenser le carburant consommé à pleine charge PC !

L’usure des pneus.

Sur F-100, la bande de roulement est faite de couches successives de toile et de gomme blanche qui se superposent les unes aux autres. Quand le pneu a subi quelques atterrissages, les couches de toile et de gomme sont usées, des rustines blanches, de forme plus ou moins ovales, apparaissent à la surface. Un ovale par toile usée, il suffit de compter. Les quatre premières toiles ne sont pas prises en compte. Une couche de gomme blanche un peu épaisse signale la cinquième toile, celle qui sert de référence.

Pneus neufs pour cet avion en expo statique à Djibouti

C’est seulement à l’apparition de la cinquième toile suivante, après la toile de référence, qu’il faut changer le pneu. Sans honte et sans complexe, les roues de F-100 peuvent donc exhiber des patates monstrueuses qui servent de témoin d’usure. Sur les aérodromes habitués aux Mirage, il arrive que ces patates perturbent fortement la conscience des mécanos chargés de la remise en œuvre de nos avions. Il a souvent fallu faire intervenir des autorités averties, crédibles et compétentes, pour autoriser les F-100 à rentrer chez eux.

Aux grandes incidences : le roulis induit et la vrille du F-100.

Sur F-100, quand les becs sont sortis, l’avion est cramponné aux filets d’air comme un grimpeur à son rocher. En dessous de 150 kt le lacet inverse est important, et il peut être dangereux d’utiliser le gauchissement. L’inclinaison s’obtient à l’aide du palonnier, par roulis induit. De cette façon, on peut tourner un tonneau « aux grands angles ». La sortie de vrille se fait « manche au ventre » pour alimenter en air la dérive jusqu’à l’arrêt de la rotation, avant de rendre la main.

Jusqu’en 1973, le F-100 demeura le seul chasseur ravitaillable en vol de l’Armée de l’Air

Un chasseur-bombardier exceptionnel pour l’époque

Par la variété des munitions qu’il permet d’emporter, le F-100 offre à son pilote des circuits de tirs variés et des configurations dissymétriques intéressantes. Grâce au ravitaillement en vol et au panier du ravitailleur, il offre de la transpiration et de l’adrénaline, des séjours dans des pays exotiques et… des crampes ou d’autres désagréments physiques que les vélivoles connaissent bien eux aussi, après trois heures de vol.

En approchant du terme de sa carrière signée de l’arrivée du Jaguar dans l’Armée de l’Air, le Super Sabre était toujours un avion d’homme, que beaucoup auraient aimé piloter. Un privilège qui parfois se payait très cher …

Texte de Denis Turina, édité et illustré par Alexandre.