Il était une fois trois ‘Caravelle’ qui naviguaient entre les îles … elles s’appelaient Torea, Maire Nui et Teva …
En 1976, la DIRCEN (Direction des Centres d’Etudes Nucléaires) décide de l’acquisition de trois SE-210 11R auprès d’opérateurs civils : il s’agit des avions n°240 (ex 9Q-CLC d’Air Zaïre), n°251 (ex 9Q-CLD) et n°264 (ex EC-BRY d’Iberia puis Transeuropa). Ces Caravelle sont affectées à l’ETOM 82 en remplacement de deux Noratlas et de six DC-6 et se posent à Tahiti respectivement le 4 août, le 2 septembre et le 28 décembre 1976. Ces avions bénéficient d’une grande porte cargo sur l’avant gauche et de l’option Quick Change, et sont destinées à effectuer des lignes régulières entre Tahiti et Hao (1h30 de vol) ou Moruroa (2 heures de vol).
En plus de ces options, elles se voient dotées d’un navigateur Doppler, et à partir de 1991, d’un système de navigation Oméga et d’un nouveau radar météo. Grâce à leur motorisation généreuse (deux P-W JT-8D7R de 6000 kg de poussée avec inversion de poussée), ces avions peuvent emporter jusqu’à 9 tonnes de fret, ou 90 passagers. Par contre, le décollage à pleine charge n’est permis que depuis quatre aérodromes en Polynésie Française : la base aérienne 190 de Tahiti Faaa, les bases aériennes de Hao et Moruroa, ainsi que l’aérodrome de Rangiroa. Trafic cargo ou passagers, évacuations sanitaires, etc., font le menu quotidien des trois SE-210, missions diverses facilitées par les configurations palettisées.
Les trois Caravelle ne recevront pas l’immatriculation complète en 82 P., mais simplement les deux lettres terminales de leur immatriculation : (F-RB) PR pour la 240, (F-RB) PS pour la 251, (F-RB) PT pour la 264, lettres figurant sur la trappe de train avant. Par contre, elles seront baptisées d’un nom polynésien : respectivement Torea, Maire Nui et Teva. Tout au début, les Caravelle porteront l’insigne du ‘ Crocodile’ du GAM 82 mais en juin 1979, lorsque l’ETOM 82 adopta les traditions du Maine, l’insigne de cet escadron de transport compléta la décoration des trois SE-210.
En 1995, après 49126 heures de vol sans histoire et 558560 passagers transportés, les trois grands oiseaux blancs stationnent sur le parking de la BA 190 : le 18 septembre à 11h10 locales, la 240 Torea s’immobilise après son dernier vol sous les cocardes tricolores, elle suit la 251 (arrêtée en mars 95) et la 264 (arrêté en juin). Elles furent les dernières Caravelle en service dans un escadron opérationnel. Elles seront remplacées par deux Casa 235, arrivant en 1996 et temporairement assistés de deux C-160, notamment lors du démantèlement des installations d’essais de Polynésie.
Avec ‘seulement’ 28730 heures au compteur pour la 240, 28126 heures pour la 251, et 30106 pour la 264, les trois biréacteurs demeurent en très bon état et ont encore du potentiel : elles seront rachetées en 1996 par la compagnie belge Eureka Aviation pour faire des vols cargo en Afrique. Les Caravelle 11R retrouvent une identité, immatriculées provisoirement au registre F-W, elles sont convoyées vers la Belgique via Apia, Nouméa, Port Moresby, Ujung Padang, Phuket, Colombo, Mascate et Heraklion. La 264 (F-WQCV, devenue Ruth) quitte le sol polynésien le 8 mai, suivie par la 240 (F-WQCT) Lynn le 21 mai et la 251 (F-WQCU Thomas) le 13 juin.
Mais ce n’est pas fini !
Grâce au site www.airliners.net, on trouve la trace de ces avions en vol jusqu’en 2003 (240 et 264) et même jusqu’en 2004 pour la 251 qui se serait crashée à l’atterrissage le 28 août 2004 à Gisenyi (Rwanda), après s’être vue refusée la clearance pour l’aéroport de Goma. Le devenir des deux autres avions est incertain pour le rédacteur de ces lignes, ils furent vus en état de vol à Johannesburg jusqu’en septembre 2003. J’ai pu récupérer des informations (merci à Rémi Dallot) que je livre à la postérité :
A travers ces quelques lignes, on devine que l’histoire de ces trois Caravelle aura été riche d’anecdotes, voire de drames. Ironie du sort, on peut imaginer que ce n’est pas au service de l’Armée de l’Air que ces avions auront transporté les cargaisons les plus bizarres.
Comment quelques tonnes de métal volant finissent par acquérir une personnalité : c’est un des mystères de l’aviation !
Ouvrage recommandé : L’Aviation à Tahiti – Jean-Louis Saquet – Editions Au Vent des Iles (www.auventdesiles.pf).