Les Sections de Liaisons après la deuxième guerre mondiale utilisaient les monomoteurs légers les plus variés (Morane 500, Sipa S10, S11, SV4 Stampe, Tiger Moth …) et même parfois d’anciens avions de combat déclassés. Mais pour des raisons de logistique et de sécurité des vols, il leur fallut progressivement se standardiser : le premier type vraiment affecté à cette catégorie monomoteur fut le Messerschmitt Bf.108 Taifun construit à 170 exemplaires sous licence par la SNCAN pendant la guerre sous le nom de Nord 1000 (moteur allemand Argus) puis N.1001/1002 (moteurs Renault) Pingouin. Les Pingouin suivants sont signalés : au GB 1/31 Aunis, le Nord 1000 n°8; à la 3ème escadre de chasse (Reims), les n°136 et 242; au GR 3/33 Périgord, les Nord 1000 n° 53, 62, 63; au GR 2/33, le n°61 (1945); à la 33ème escadre de reconnaissance, les n°121, 237 (1952), 152 (1954-56) et le n°223.
L’étude du prototype tricycle dérivé du Bf.108 (Messerschmitt 208) qui avait été construit à deux exemplaires (le V1 : GK+RZ et le V2 : KR+BZ) par la SNCAN dès 1943 fut reprise à la libération sous la désignation N.1100 Noralpha puis N.1101 Ramier : plus de 200 N.1101 furent livrés à l’Armée de l’Air et à l’Aéronavale. C’est ainsi que l’on note la présence à la 33ème ER des N.1101 n°176, 178, 189 en 1948, du n°136 « 33-XB » en 1962 et des n°84 « 33-XE » et n°169 « 33-XF » en 1963. Ces appareils aux capacités limitées servaient aux côtés des bimoteurs de liaison (première partie : Goéland, Martinet puis Flamant).
Le Max Holste MH.1521 Broussard prit la relève de ces monomoteurs au moment où les ‘Dassault’ remplaçaient les Martinet (1963) et alors qu’une importante réorganisation de l’Armée de l’Air était en cours.
Le premier prototype du Broussard (n°01 F-WGIU) a volé le 1er novembre 1952. Il fut suivi du n°02 F-WFOB et de trois autres prototypes. La présérie comportait deux appareils civils (MH.1521C), et 17 appareils militaires MH.1521M (n°06 à 022). La série a porté sur un total de 366 exemplaires, (dont 47 MH.1521C), l’Armée de l’Air en reçut 289, l’ALAT 46, et la Marine 3 (n°43, 63, 66, ce dernier fut détruit lors de la catastrophe du barrage de Malpasset).
Parmi la dizaine d’aéronefs sur lesquels j’ai volé sérieusement, le ‘Brou’ tient une place particulière car c’est de loin le plus « susceptible » : s’il a l’air d’une brouette, il ne pardonne pas qu’on le traite comme tel. C’est un curieux mélange de qualités (polyvalence, rusticité,…) et de pièges sur lesquels nous reviendrons. Il n’y a eu qu’une version du ‘Brou’ utilisée dans les armées mais d’importantes modifications ont été apportées à la demande des utilisateurs : au départ le centrage étant trop arrière à pleine charge, le chassis moteur fut donc allongé de dix centimètres. Cela permit d’autre part de modifier le système de refroidissement des culasses dont la température avait la fâcheuse tendance à rester dans le rouge ; ainsi, des volets électriques de capot remplacèrent les ouïes latérales fixes à partir du n°71.
La grande porte de chargement sur le côté gauche était à deux battants avec ouverture centrale. En mission de parachutage le battant arrière devait être démonté. A partir du n°187 ce battant arrière fut modifié pour devenir coulissant, ce qui permettait de l’ouvrir juste avant le saut. Cela peut paraître anodin mais en hiver, quand il faut monter, portes ouvertes, pendant une demi-heure pour larguer des « commandés » on perçoit immédiatement l’intérêt d’une telle modification, surtout quand il fait -20°C à l’altitude de largage. Autre particularité, la place droite ne disposait pas de freins, ce qui est plutôt inquiétant quand on entraîne les pilotes débutants sur la bête, les phases d’atterrissage et surtout de roulage et décollage devenaient pour le moins acrobatiques. Heureusement, un petit nombre d’appareils furent équipés de doubles commandes de freins, et il y en avait au moins un exemplaire dans chaque escadron de liaison, mais je ne pense pas que les SALE aient bénéficié d’un tel luxe.
Le moteur Pratt et Whitney R.985 de 450 ch était fiable mais il ne donnait pas le même résultat que sur le DHC-2 Beaver canadien dont s’était inspiré Max Holste pour son 1521, car ce dernier avait un poids supérieur de 400 kilos et son aérodynamique laissait à désirer. Alors, quand on tirait sur le manche, l’avion montait lentement et le badin chutait rapidement cela explique que bien des pilotes ont passé de sales moments en vol en montagne ; je ne ferai pas la liste des ‘Brou’ qui n’ont pas passé le col ou qui n’ont pas pu faire demi-tour le long d’une pente par mauvais temps.
Ceux qui jugeaient (et sanctionnaient) les équipages ne pratiquaient généralement pas cette machine régulièrement. Ce sont les mêmes qui ont élaboré (dans les années 1970) un règlement contestable pour l’atterrissage vent de travers ; à ce sujet, les habitués adoraient cette maxime : « pour l’atterro il y a la bonne méthode et celle du GAEL ». En effet, le COTAM limitait le vent de travers à 5 nœuds alors que les « rebelles » se posaient (en toute sécurité) à plus de 15 nœuds de vent de travers, et en toute illégalité bien sûr. La morale de l’histoire: le ‘Brou’ n’allait bien qu’avec les gens qu’il connaissait. Le secret (de Polichinelle), c’est que le posé ‘trois points’ était inadapté et qu’il suffisait de mettre une charge (ou un passager) à l’arrière de la cabine pour faire reculer le centrage et assurer un posé ‘deux points’ parfaitement sûr.
Au retour d’Algérie, où l’Armée de l’Air avait déjà perdu (le plus souvent par accident) 29 Brou sur les 140 appareils engagés, les unités de métropole furent équipées de cet appareil : d’abord les Escadrons de liaison (1961) puis, à partir de 1963, les Sections de liaison des unités de combat.
Unités de la FATac
Toutes les unités de chasse en activité à cette époque utilisèrent le ‘Brou’ y compris la 1è EC (du 1er CATac) à Saint Dizier, qui reçut le n°19 F-UGDC en mai 1963. Elle devait le céder le 24 mars de l’année suivante à la BA 701 de Salon-de-Provence, la 1ère Escadre étant dissoute début 1966 peu après la création de la FATac 1ère RA à Metz (1er juillet 1965).
L’EEVSV de la 9ème EC basée à Metz-Frescaty recevait, pour sa part le n°182 « 9-DC », le 11 avril 1963 puis le n°290 « 9-DD » (en juillet 1963). Troisième et dernier appareil, le n°132 est livré le 2 septembre 1964 et reprend l’immatriculation du n°290. L’escadre est dissoute le 30 mai 1965.
Les autres EC de la FATac, 2ème, 3ème, 4ème, 7ème, 11ème, et 13ème EC et la 33ème ER utilisèrent chacune plusieurs Broussard. On peut retrouver la plupart des n° affectés dans l’excellent livre « Broussard – MH1521 » de Thierry Gibaud (éditions ETAI – 2003), dont j’ai repris ici certaines données.
Unités du CAFDA (Commandement Air des Forces de Défense Aérienne)
La 5è EC avec ses19 Brou qui se sont succédé à Orange-Caritat en 25 ans (avril 1963 – décembre 1987) fut une des escadres de chasse les mieux pourvues. Les premiers appareils portaient les codes de la Zone de Défense Aérienne (f-sdGx), dont le GA n°315 qui était détaché à Lyon-Bron au profit de la BA 942 (Mont-Verdun).
Ce n’est qu’en 1966, au moment où l’escadre entreprend sa transfo sur Mirage IIIC, que la SLVSV de la ‘5’ percevra en propre des Brou codé en 5-Mx.
Le Broussard équipera également les autres ELVSV (puis les SAL) des escadres du CAFDA : la 8ème EC à Cazaux d’avril 1963 à mai 1988, la 10meè EC de Creil jusqu’à la dissolution de l’escadre en mai 1985, la 12ème EC, et enfin la ’30’. Pour cette dernière l’évolution de l’escadre est détaillée dans le premier volet de cette étude (le Flamant dans les escadres de chasse).
En octobre 1972, l’EETT (Escadron d’entrainement tous temps 12/30 Hautvillers) devient EEVSV 00/030 (Escadrille d’Entrainement au VSV) ; elle perçoit son premier ‘Brou’ (n°187, ’30-QN’) en février 1973. Les deux derniers Broussard de la SALE 00/30 (n°261 ’30-QA’ et n°254 ’30-QB’) seront arrêtés de vol en décembre 1987.
Les autres unités
Comme la BA 942 de Lyon-Mont-Verdun, une vingtaine de bases ont mis le MH.1521 en œuvre ; certaines abritaient des unités de chasse. Par exemple, la BA 113 de Saint-Dizier où étaient basée la 1ème Escadre puis la 7ème EC a disposé d’un ‘Brou’ codé ‘113-DF’ (n°257, 49 puis 312) entre mai 1963 et décembre 1977, mais le plus souvent le code se limitait à deux lettres (code généralement alloué à la Région) comme pour le ‘GA’ n°315 de Mont-Verdun ou le n°5 ‘MF’ de la BA 120 (Cazaux).
Les FAS n’ont pas utilisé le MH.1521 : pour les liaisons techniques, elles disposaient des ‘navettes FAS’ (Nord 2501) que lui fournissaient les escadres du CoTAM.
Le principaux avantages du ‘Brou’ étaient sa polyvalence (cargo liaison, EVASAN, parachutage, version photo, PC volant et épandage) et sa rusticité. En parachutage, il emmenait 4 paras plus le largueur qui pouvait prendre la place droite (copilote). Il rendit ainsi de grands services aux SAPS (Sections Air de Parachutisme Sportif), d’autant qu’il pouvait se poser sur des pistes courtes en herbe. Sa large porte de chargement et sa section carrée lui permettaient de transporter des charges volumineuses (soute de 4m3 sans les sièges passagers) allant jusqu’à 600 kg : il m’est arrivé de transporter un réacteur Marboré sur son bâti de Metz à Cazaux sans escale.
Mais le moteur à pistons de 450 cv était piégeant pour les jeunes chasseurs formés ab initio sur réacteur (Fouga, T-33, etc.); au décollage notamment une mise en ligne de vol trop brutale provoquait un couple (encore un coup de ce damné Coriolis) qui pouvait entrainer une belle sortie de piste, et le pas variable de l’hélice était une difficulté supplémentaire en vol. Ajoutons à cela le diabolique train à ressorts qui ne pardonnait guère les « appontages » et on ne s’étonnera plus des nombreux incidents qui se sont produits à l’entraînement (ou ailleurs). Il restait encore à affronter l’effet de masque sur les ailerons, les variations de centrage (la masse pouvait varier de 1500 à 3000 kg). Lors des atterrissages à vide en parachutage, il n’était pas possible de poser le ‘Brou’ trois points même avec le manche au baquet et le compensateur ‘plein cabré’, ce qui a provoqué quelques « pylônes » sur les pistes sommaires.
Le dernier problème, mais non le moindre, était le quiproquo sur le régime de vol : le Brou n’était autorisé à voler qu’en VFR, mais souvent on se retrouvait en conditions tangentes; si on tentait de passer « dessous » cela pouvait se terminer très mal. La meilleure option était parfois d’oublier les règles : le vol se terminait alors en IMC (condition de vol aux instruments) avec l’horizon artificiel bancal, le conservateur de cap baladeur et le radiocompas hésitant. Pour l’atterro, on pouvait heureusement compter sur le contrôleur qui nous récupérait sur son radar primaire et nous amenait en GCA (ground control approach) jusqu’en entrée de bande ; cela marchait très bien.
Les premiers Broussard portaient fièrement le drapeau sur les deux dérives; l’insigne était celui de l’escadre. Les drapeaux de dérive disparurent progressivement; vers la fin, des insignes de SALE (2, 3, 4, 13) et de nouveaux insignes composites d’escadres (5, 12, 33) apparurent, mais plusieurs escadres conservèrent le blason jusqu’à la fin (7, 11); à la 33ème ER, le ‘MH’ portait un insigne composite ou bien la Mouette de l’escadron Savoie seule, ou accompagnée de la Cocotte. Les ‘Brou’ des 8ème et 10ème escadres portèrent rarement l’insigne.
En novembre 1987, vu le nombre importants des accidents survenus sur MH1521, l’arrêt brutal de l’activité du Broussard dans l’Armée de l’Air marquera le début d’une grande braderie au profit du privé. Parmi les conséquences de ce départ précipité, on peut citer une perte de souplesse dans les missions de support des unités de chasse, la fin des SAPS sur les bases aériennes … et puis aussi la disparition d’une certaine conception de l’Aviation.
Mais là, ce n’était malheureusement qu’un début…
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