L’escadron de transport 2/64 Anjou reconnait la devise « combattre et sauver », commune à tous les transporteurs, et revendique plus particulièrement les qualités héritées des ‘Seigneurs de l’Anjou’ en Indochine: Savoir-faire – Audace – Abnégation. Si le savoir-faire et l’abnégation n’appellent pas de commentaire particulier, s’agissant d’équipages militaires hautement qualifiés, l’audace est une notion qui mérite d’être explicitée pour ceux qui ne connaissent pas la mission ‘transport’.
Cette qualité est surtout significative de la capacité des équipages à se remettre en question devant la complexité d’une nouvelle mission, sans impacter la sécurité des vols. En d’autres termes, à rechercher le maximum des possibilités pour accomplir la mission sans remettre en cause l’intégrité des passagers, de l’équipage, et de l’avion.
La sécurité des vols est un aspect de la « gestion du risque opérationnel », qui est basé sur l’équilibre entre risque et bénéfice, où gravité et probabilité du danger sont à la base de l’analyse. Dès les premières qualifications, les équipages sont sensibilisés et formés à évaluer les enjeux et les dangers des missions.
Rappelons que l’Armée de l’Air dispose actuellement d’une flotte d’avions de transport tactique (ATT) comprenant trois types: du plus léger, le CN-235, au plus lourd, le C-130H-30, en passant par le C-160. L’Airbus A400M a vocation à être employé en ‘tactique’ dès qu’il sera opérationnel à son standard définitif, mais cela prendra encore un peu de temps.
Le Transall est le meilleur ATT de l’AA pour pratiquer les terrains sommaires, en raison de son train d’atterrissage basse pression à double diabolos. En revanche par rapport au C-130H, il est désavantagé sur le plan de la puissance installée (2x 5600 ch, contre 4x 4300 ch pour le Hercules). Ainsi les performances du C-160 se dégradent-elles pour des terrains ‘hauts et chauds’, comme à Kaboul en été et en pleine journée, par exemple.
En plus de la classification OACI pour évaluer la qualité des terrains sommaires (PCN ou pavement classification number), les équipages du ‘COTAM’ ont un petit appareil spécial pour mesurer la qualité d’un terrain (une petite masse conique en métal qui tombe en s’enfonçant plus ou moins dans le sol). Cet outil leur permet de savoir avec quel avion ou quelle charge utile ils peuvent pratiquer un terrain.
Avec la mise en service de l’A400, et la plus grande autonomie du C-130H (4 000 km avec 12 tonnes de charge utile, contre 8 tonnes pour le C160), les missions logistiques sont de moins en moins effectuées par les Transall. Le 2/64 Anjou se consacre donc de plus en plus aux missions tactiques. Ainsi voit-on encore de grosses concentrations de Transall lorsque le besoin s’en fait sentir (une douzaine Transall à Abidjan en février 2013), malgré la diminution chronique de la flotte.
Un équipage de C-160 effectue bon an mal an 250 à 300 heures de vol, mais son carnet de vol se remplit plus vite quand il est ‘combat ready’, en possession de tous ses labels opérationnels: 400 heures/an. Les heures de vols sont décroissantes ensuite, au fur et à mesure que le pilote assume davantage de responsabilités à l’escadron.
Le cursus est le même que pour les autres avions de transport: le pilote obtient d’abord sa QT (qualification de type), sous contrôle de l’Escadrille d’Instruction des Equipages (qui dépend du CIET d’Orléans), puis il progresse dans ses qualifications lors de l’adaptation en ligne, c’est-à-dire durant les missions opérationnelles, en place gauche.
La QT sur Transall nécessite 25 missions, la plupart en simulation, et 2 ou 3 vols, sur environ 12 semaines. L’AEL s’effectue en escadron, sous le contrôle de commandants de bord qualifiés, et voit le jeune pilote acquérir progressivement les aptitudes au vol tactique (vol TBA, vol en section, …), au cours de missions tactiques, y compris sur des théâtres extérieurs. Au cours de l’AEL, le pilote fait encore du simulateur.
Au bout de deux années en escadron, le jeune pilote devient alors ‘combat ready’ ou CR, c’est le premier degré de la qualification tactique. Puis il faut compter encore 2 à 3 années supplémentaires pour que le pilote obtienne ses qualifications de commandant de bord, chef de section, puis chef de peloton (conduite de plus de 3 avions).
Une fois que le pilote est CR, il va acquérir des labels spécifiques tels que largage TGH (très grande hauteur (sous oxygène), le vol en conditions NRBC (nucléaires, bactériologiques ou chimiques), le ravitaillement en vol, …, le but étant que tous les pilotes CR aient tous les labels et les conservent durant leur vie opérationnelle.
Avec 10 à 12 pilotes admis par an, l’activité instruction et entraînement est intense au 2/64; surtout que pour le navigateur, la progression est identique: QT, AEL, CR et labels. L’ET ‘Anjou’ comprend actuellement une dizaine d’équipages, sachant qu’à Evreux la disponibilité habituelle est actuellement de 5 à 6 avions en ligne (d’autres Transall sont en opex ou en détachement outremer).
Depuis l’avénement de l’EATC (European Air Transport Command), l’activité opérationnelle des transporteurs des pays membres est organisée par le centre d’Eindhoven: les flottes et les équipages des membres de l’EATC sont mises en commun, et les moyens sont attribués en fonction des demandes des ‘clients’ de chaque pays.
Ainsi, un C-130 hollandais ou un Transall allemand peut effectuer une mission logistique de Bordeaux à Solenzara, par exemple. L’EATC est le donneur d’ordres, mais le CNOA (Centre National des Opérations Aériennes) peut prendre la main à tout moment pour une mission qui demande une priorité particulière (comme par exemple une intervention du GIGN).
Pour ce qui est des missions tactiques sur un théâtre d’opération extérieur, l’Armée de l’Air utilise en général ses propres moyens (C-160, C-130, CN-235, hélicoptères), mais elle le fait maintenant sous le contrôle opérationnel d’un JFACC (Joint Force Air Component Command) à la norme OTAN, ce qui assure aux opérations une bonne lisibilité, et permet l’insertion des forces aériennes de nations partenaires au fur et à mesure qu’elles se décident. Ce fut le cas pour l’opération Serval de 2013-2014, ou des moyens de transports aériens de plusieurs pays de l’alliance furent engagés.
Bien que l’EATC connaisse en temps réel les missions réalisées, et les équipages, le commandant de bord conserve les prérogatives du chef de bord. C’est à lui qu’incombe les décisions difficiles: dans le pire des cas, comme dans toute situation de management , il doit ‘savoir choisir entre deux mauvaises solutions’. Par exemple : est-il nécessaire de couper un moteur en surchauffe, qui pourrait éventuellement exploser, au risque de dégrader les performances de l’avion et de se rapprocher du sol, alors qu’on vole en zone montagneuse ?
Les Transall rénovés ont une avionique moderne avec FMS très pratique (spécifiquement développé pour le C-160), qui permet une navigation très précise, éventuellement sous pilote automatique. Comme il n’y a pas de mode de suivi de terrain automatique, le vol TBA est pratiqué ‘à la main’: à 250 noeuds et 300 pieds, l’effort est intense et la présence de deux pilotes n’est pas du tout un luxe.
Le ravitaillement en vol est pratiqué régulièrement (c’est l’ET 1/64 Béarn qui est référent pour cette spécialité): les labels sont à jour pour tous les pilotes CR. Notons à ce sujet qu’une balise embarquée sur l’avion ravitailleur facilite grandement la ‘rejointe’: cette balise donne un très bon plot sur le radar (météo) du ravitaillé.
Le 2/64 est l’escadron référent pour le largage à très grande hauteur (TGH) et pour les missions en conditions NRBC.
Le largage TGH nécessite une très grande dextérité, car la vitesse de largage (130 kts indiqués) correspond à plus de 70 m/s au sol: une imprécision d’une seconde entraîne ainsi un écart de 70 m au sol par rapport à la DZ voulue. La précision du largage est aussi dépendante des conditions de vent dans la colonne d’air. Si des parachutistes peuvent compenser aisément les petites erreurs, ce n’est pas le cas des charges inertes: en opérations réelles, des ‘colis’ peuvent ainsi se retrouver chez la partie adverse …
L’ET Anjou exerce ses compétences lors de grands exercices interarmées (comme Volfa), ou franco-allemands (Colibri). A l’occasion de Colibri 2007, à Toulouse, 14 avions des deux forces aériennes ont largué 800 parachutistes. Et bien sûr, il y a les opérations extérieures qui se succèdent en Afrique ou au Moyen-Orient: en moyenne un équipage de Transall totalise 120 jours de découchés par an.
Bien faire, dans la discrétion
‘Si on en n’en parle pas, c’est que la mission a été bien faite’: un art de vivre chez les transporteurs. Lors de grands désastres humanitaires, les caméras se braquent l’espace de quelques jours sur les Transall de l’Anjou ou du Béarn. Mais tout compte fait, la discrétion n’est pas pour déplaire aux équipages du transport aérien militaire.
Remerciements: Au SIRPA-Air pour m’avoir octroyé ce reportage, et pour la mise à disposition de photos. Au colonel Féola et à la Capitaine Duran pour l’excellent accueil de la base aérienne 105. Au lieutenant-colonel Villemin, commandant de l’‘Anjou’, au commandant D., second de l’escadron, aux capitaines Anjou 1 et Anjou 2, pour leur très grande disponibilité lors de ma visite.
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