Après le retrait des derniers F-1CT en octobre, le Savoie est doté d’une vingtaine de Mirage F-1CR et 5 F-1B, en sachant que plusieurs des monoplaces sont détachés à N’Djamena. Le départ des CT ne change pas le spectre des missions attribuées à l’escadron, puisque le CR est en gros équivalent au F-1CT pour ce qui est de l’attaque au sol (la capacité d’emport est un peu inférieure).
A l’heure actuelle, les pilotes du 2/33 sont capables d’effectuer trois types de mission : la reconnaissance, bien sûr, l’assaut conventionnel, et la défense aérienne. Dans bon nombre de forces aériennes, il semblerait étrange qu’un pilote de reco effectue des missions d’interception : cette polyvalence correspond à une tradition française, ainsi qu’aux possibilités des Mirage F-1CR (équipé d’un canon de bord, et emportant des missiles Magic II).
Ainsi, le 2/33 est fréquemment appelé à assurer la permanence opérationnelle, que ce soit à Mont-de-Marsan ou sur un autre terrain. Toutefois, en métropole, le rôle du Savoie en matière de défense aérienne est limité à la mission de police du ciel.
Les missions d’assaut peuvent être conduites avec des bombes guidées laser (ou autres): la désignation de l’objectif est alors effectuée par un JTAC ou par un avion muni d’un pod de visualisation et d’illumination (Mirage 2000D ou Rafale, voire Super Etendard). La navigation tous-temps est permise par la centrale inertielle SAGEM Ulyss 47, qui a été modernisée et peut être recalée par le GPS qui équipe l’avion.
Les données de navigation sont entrées dans le SNA grâce au petit ‘MIP’ (module d’insertion des paramètres), dans lequel le pilote a au préalable programmé sa navigation. Le radar Cyrano IVMR permet le pilotage automatique en suivi de terrain, et un calculateur donne les informations sur le largage des bombes, selon le type exact de celles-ci.
Les missions de reconnaissance peuvent fournir de l’imagerie classique, argentique, grâce aux caméras de bord OMERA 33 ou 40, ou encore grâce au pod PRESTO. Autre catégorie de mission, le recueil d’information sur les rayonnements électromagnétiques (comme les radars) émis par l’adversaire: pour cette mission, l’avion doit être muni d’une nacelle ASTAC (Analyseur de Signaux Tactiques). A noter que contrairement aux images classiques, ce type de renseignement peut être transmis au sol en temps réel, grâce à une station relais transportable. L’ASTAC est un capteur passif, programmé et exploité en liaison avec les spécialistes ELINT de l’escadron, il identifie et localise les émissions adverses.
Le F-1CR est aussi capable de fournir de l’image infra-rouge, grâce à l’équipement Super Cyclope qui trouve sa place dans la soute canon droite du Mirage, ou encore dans un autre domaine de rayonnement, le Raphael-TH peut recueillir et transmettre des images radars obtenues en visée latérale. Toutefois, ces deux équipements ne sont plus utilisés depuis plusieurs années.
Revenons sur l’aspect le plus connu, celui de la reconnaissance photographique. Pour cette mission, le pilote prend un avion muni d’une caméra d’un des types suivants:
– OMERA 33 avec un objectif de 150 mm de focale, le champ est de 42°x 42°. Elle est utilisable entre 2000 et 5000 pieds et fournit des négatifs en noir et blanc de 114×114 mm. Le déclenchement est manuel ou automatique, et le magasin compte 380 vues maximum. La cadence de prise de vues est de 5 images par seconde au maximum.
– OMERA 40 avec une focale 75 mm et munie d’un prisme rotatif. Elle fournit des images noir et blanc panoramiques d’horizon à horizon (format 216×57 mm), et peut être utilisée entre 500 et 3000’. Un dispositif permet de compenser la vitesse de l’avion lors du balayage. La cadence de prise de vues est de 10 images par seconde au maximum, avec un magasin pouvant contenir 215 mètres de film, soit 800 vues !
Les caméras reçoivent des informations du SNAR. En plus de ces caméras internes, le 2/33 peut équiper ses Mirage de la nacelle PRESTO (Pod de Reconnaissance Stand-Off): cet équipement permet les prises de vues à haute altitude sans avoir à survoler l’objectif. Le pod est équipé d’une caméra orientable OMERA de 610 mm de focale (champ de 10° x 10°). Les prises de vues latérales permettent de photographier un objet situé à 30km de l’avion lorsque celui-ci vole à 30 000 pieds. La commande peut être manuelle ou automatique; dans ce dernier cas, le pilote peut programmer la photographie de 36 objectifs différents lors de la préparation de sa mission. Les clichés sont au format 114 x 111 mm et le magasin compte 350 vues.
La maîtrise de tout ce système repose largement sur le savoir-faire du pilote, donc son entraînement. La progression du pilote suit le cheminement usuel dans l’aviation de combat, à ceci près que le 2/33 Savoie, escadron opérationnel, fait également office d’unité de conversion opérationnelle sur Mirage F-1, étant seul à voler sur ce type d’avion en France.
Parmi les jeunes pilotes issus d’un des ETO de Cazaux, on compte d’une part des pilotes stagiaires, en cours de transformation sur la machine, et d’autre part, des PIM, pilotes en instruction militaire, affectés « pour de bon » au Savoie.
Ces derniers ont déjà l’avion bien en main et poursuivent leur apprentissage des missions afin de devenir pilote opérationnel, c’est-à-dire devenir un équipier qualifié capable d’accompagner un sous-chef de patrouille (sous-CP) lors d’une mission sur un théâtre d’opérations. Au terme d’une progression comportant une petite centaine de ces missions, le pilote obtient sa qualification opérationnelle.
En effet, une fois « PO », le pilote poursuit sa formation pour devenir sous-CP: ce statut représente une marche conséquente, car une fois obtenu, il permet au pilote de conduire une mission sur un théâtre extérieur. De plus, le sous-CP participe à l’instruction en vol des jeunes pilotes. Il faut environ deux années d’entraînement pour que le PO devienne sous-CP. Le sous-CP possède une expérience tactique qui lui permet de répondre aux nombreux aléas (simulés ou réels) qui émaillent une mission afin de parvenir malgré tout au succès.
La formation de pilote de combat se poursuit par l’obtention de la qualification de CP (chef de patrouille), qui permet au pilote de préparer et conduire des missions lourdes, comprenant 4 avions ou plus, dans un environnement complexe, comme lors d’opérations extérieures en coalition. A ce stage ce n’est plus simplement la mission qui doit être maîtrisée par le pilote, mais aussi tout son environnement. Le CP reçoit l’ATO (Air Tasking Order, au standard OTAN), il est le chef d’orchestre de la mission, distribuant les tâches aux autres pilotes, s’assurant que les moyens correspondent bien à une exécution réaliste de la mission. Il est l’artisan principal du dialogue avec les officiers de renseignements (OR) et les aussi avec les « IP » (interprétateurs photos) de l’escadron. On compte habituellement deux années de formation pour passer de la qualification de sous-CP à celle de CP.
Afin de susciter de l’émulation, un concours photo est organisé chaque mois avec une thématique définie selon la dénomination au standard OTAN, le STANAG : dans cette nomenclature, un nombre à deux chiffres indique la catégorie d’objectif. Ainsi, 01 correspond à un terrain d’aviation (airfield), 06 à une activité militaire, 08 à un bateau, … Les pilotes affichent leurs meilleurs clichés sur un panneau situé … au bar de l’escadron, c’est la tradition qui le veut !
Chaque jour, les Mirage F-1 sont préparés à l’avance selon le souhait d’un commandant d’escadrille, en relation avec la disponibilité des avions, qui a été vérifiée auprès de l’ESTA. Les équipements voulus (nacelles, lance-bombes, contremesures) sont montés sur chaque Mirage, ainsi que des réservoirs supplémentaires.
En ce moment, vu le nombre de jeunes pilotes présents au 2/33, les F-1 sont souvent configurés en Fox 1200 (un bidon de 1200 litres sous le fuselage), car cette option permet un maximum de souplesse. Un avion en Fox 1200 peut aussi bien effectuer une mission de reconnaissance avec les caméras de bord, qu’une mission d’entraînement au combat aérien : en effet, une fois que le réservoir de 1200 litres est vide, l’avion n’a pas de limite particulière de facteur de charge, en subsonique et jusqu’à Mach 1,6.
Concrètement, une mission de reconnaissance ou d’assaut nécessite une journée de travail pour l’équipe qui va la mener à bien (officiers de renseignement, pilotes, interprétateurs photo). Dès la réception de l’Air Tasking Order, un message codé de manière extrêmement dense rassemblant les informations sur la mission demandée, les pilotes concernés entament la préparation. Pour un décollage en début d’après-midi, le préparation débute tôt le matin par le briefing météo (suivi par tout l’escadron). Dès sa « prise de task », le leader vérifie auprès de l’ESTA qu’il dispose des moyens (avions et équipements) pour exécuter la mission, en lien avec le commandant d’escadrille.
Débute alors la réunion de préparation de la mission (distincte du briefing) au cours de laquelle les participants se livrent à un genre de brain-storming pour fabriquer le scénario permettant de réussir la mission, les officiers de renseignements ayant livré les informations sur les moyens de défense en possession de l’adversaire, les IP ayant éventuellement précisé des éléments sur les clichés demandés. Au cours de cette réunion, les équipiers se partagent les tâches indispensables: préparation des cartes, consultations des NOTAM, demandes d’autorisation au contrôle aérien. L’activité est intense dans la salle de préparation, on établit notamment la time line, c’est-à-dire le temps compté à rebours depuis le top sur l’objectif.
Les équipiers rentrent tous les éléments factuels dans le système de préparation de mission, ceux-ci sont transcrits dans le MIP, qui les transmettra au SNA du Mirage F-1CR lorsque le pilote aura inséré le module dans son logement, dans le cockpit. Typiquement, la réunion de préparation est achevée 3 heures avant l’heure prévue de décollage.
Le briefing a lieu une heure et demie avant l’heure de décollage : les pilotes se concentrent alors sur les éléments factuels de la mission: qui fait quoi et quand. Le déroulement étant souvent émaillé d’imprévus, on se remémore la liste des « what if », de manière à être prêt à s’adapter quasi-instantanément quand les aléas surviennent.
Enfin, le briefing insiste sur les aspects sécurité du vol. La durée du briefing varie selon la complexité de la mission, par exemple en fonction du nombre d’avions participants, et l’environnement tactique.
Les pilotes ont ensuite rendez-vous au pied des avions, pour le step, 40 à 45 minutes avant l’heure prévue de décollage.
L’étape au bureau de piste, dépendant de l’ESTA 2E118 Chalosse permet de prendre connaissance du dernier état des lieux concernant les avions, et de signer les form.
Après la mise en route de la centrale à intertie, chaque pilote effectue la visite prévol en compagnie du chef-avion. L’examen scrupuleux de chaque élément vital n’est jamais négligé par le pilote, malgré tout le soin apporté par la maintenance, et quelque soit la confiance des uns dans le professionnalisme des autres.C’est durant la visite prévol que le pilote commence à être dans l’avion.
Les missions confiées aux pilotes correspondent à leur qualification du moment, allant de la simple BFM (Basic Fighting Manoeuvre, ou combat à 1 contre 1) à l’ACM (Air Combat Manoeuvre, combat à 2 contre 1), puis de l’ASV 2 (assaut à deux avions) à la REC 3 (Reconnaissance dans un cadre tactique complexe).
La reconnaissance étant le métier spécifique de l’ER 2/33, la réussite d’une mission est jugée sur la précision spatiale et temporelle des clichés rapportés (pour ce qui est des missions photos), ainsi que sur la qualité des prises de vues. Les réglages, l’angle des prise de vues et le nombre de photos prises interviennent sur l’évaluation de la mission (les meilleurs pilotes ont besoin de moins de clichés pour apporter le renseignement voulu, ce qui facilite l’exploitation de la mission).
L’interprétateur photographique et l’officier de renseignement peuvent apporter leur concours au débriefing. Les pilotes livrent aussi des informations que leurs yeux ont enregistré mais pas les capteurs de l’avion, un facteur souvent sous-estimé par ceux qui ne sont pas « du milieu ». Dans certains cas, cependant, les clichés sont simplement développés et envoyés à leur destinataire avec la plus grande célérité. La rapidité de traitement des photos ne peut pas égaler la vitesse de transmission de clichés numériques: dans le meilleur des cas, des clichés sont disponibles 3/4 d’heure après l’arrêt de l’avion.
L’année prochaine, on fêtera les trente années de service du Mirage F-1CR, et au 2/33 Savoie, la cocotte de la BR 11 rejoindra la mouette de la SAL 6 sur le podium des escadrilles centenaires. Gageons que cette année 2013 ne sera pas de tout repos pour les spécialistes de la reco à la française. Après Harmattan, les opérations en Afghanistan, le déménagement de l’escadron, le départ puis le retour en Afrique, les pilotes et les techniciens savent qu’ils seront certainement, quelque part, sur la brèche.
Copyright: Alexandre et escadrilles.org
Remerciements: Au Lieutenant-Colonel Vinot-Préfontaine et à l’Escadron de Reconnaissance 2/33 Savoie pour leur accueil chaleureux, au personnel de l’ESTA 2E118 Chalosse pour sa compréhension bienveillante. Merci également au Bureau de Relations Publiques du Commandement des Forces Aériennes pour avoir autorisé ce reportage.