La 23F tient sa vocation de flottille de patrouille maritime des premiers Lockheed Hudson de la 2F intialement basée à Dakar, et bientôt remplacés par les Vickers Wellington, à Port-Lyautey (Maroc). C’est peu après l’arrivée des Avro Lancaster (munis de radar ventral) en janvier 1952 que la flottille devint la 23F, toujours basée à Port-Lyautey. Les quadrimoteurs anglais firent place au Neptune à partir de début 1956, d’abord avec le P2V-6, puis, au printemps 1959, avec le P2V-7, le nec plus ultra des avions de lutte anti-sous-marine. Peu après, en janvier 1961, la flottille fit mouvement sur Lann-Bihoué.
L’arrivée du premier Breguet 1150 Atlantic à la 23F date du 10 avril 1972, les Neptune passant rapidement à la 25F, qui les finira, en France métropolitaine avant de les céder à la 12S polynésienne. Le 1er février 1990, les premiers Atlantique arrivent: la 23F est première sur ATL2. En raison de la présence à Brest de la Force Océanique Stratégique (la FOSt), la flottille est fortement impliquée dans la protection de l’activité des SNLE. En effet, pour que la dissuasion française soit 100% crédible, il est d’une importance primordiale que la sortie des sous-marins stratégiques se fasse en dehors de la présence d’aéronefs ou autres navires curieux aussi bien en surface que sous la surface.
L’Atlantique assure les missions de lutte ASM, pour laquelle il a été spécifiquement conçu, de lutte anti-surface, de surveillance maritime, de PC volant lors d’opérations combinées (Mali, Tchad, Irak), de surveillance électronique, ainsi que la mission de recherche et secours en mer. L’Atlantique a acquis récemment une capacité de bombardier, avec la capacité d’emport de bombes guidées laser GBU-12.
Il y aurait actuellement 14 Atlantique en service dans les flottilles, les autres avions de la commande initiale (28) étant soit en entretien à Cuers, soit en réserve. Deux avions sont positionnés en permanence en Afrique, l’un à Dakar, l’autre à Djibouti. L’Atlantique se déplace en croisière à 270 noeuds, mais en patrouille basse ou moyenne altitude, le meilleur compromis est une vitesse de 180 noeuds environ.
Les moyens de recherche anti-surface ou anti-sous-marine incluent le radar Iguane rétractable, la caméra infra-rouge (FLIR), les bouées acoustiques passives (Jezebel) et actives (DICAS), les moyens d’écoute radio-électriques, et le détecteur d’anomalies magnétiques (dans la queue). Un ensemble d’équipements ‘Comint’ peut aussi être monté en option pour les missions de recueil d’informations sur les transmissions, avec cette fois des équipiers spécialisés. La vue qu’offre les larges postes d’observation est un capteur à ne pas négliger.
L’entretien de l’avion se fait au rythme des petites visites V1 qui durent 8 jours, des visites V2 faites en flottille et qui durent 55 jours, et des grandes visites V3 pour lesquelles chaque avion passe à Cuers durant un an et demi. La moitié du personnel de la flottille fait partie du service technique.
Les équipages comptent au minimum 13 personnes: un pilote, un chef de bord (assis en place droite, il supervise la situation tactique et la trajectoire de l’avion), un pilote en place gauche, un mécanicien de bord (le mecbo), un coordinateur tactique (le tacco), trois opérateurs acousticiens, trois radaristes navigateurs (les denae), trois opérateurs de guerre électronique et de transmission (les gedbo), un deuxième mecbo arme un poste de veille, il est chargé du largage d’artifices depuis l’arrière de l’avion. En permanence, trois postes de veille sont armés: les deux sabords et le nez vitré, par des membres de l’équipage.
La flottille compte sept équipages opérationnels et 3 équipages en formation. Pour sa formation et son maintien de compétences, un équipage passe régulièrement au ‘SimTac’ (Simulateur tactique) du GEI (Groupement Entraînement et Instruction): cet équipement majeur permet de jouer et rejouer les missions sous la direction d’une équipe d’instructeurs qui connait toutes les ficelles du métier.
Un équipage est constitué pour une durée de trois à quatre ans : la première année voit sa formation autour d’un nucleus de 4-5 équipiers opérationnels, elle est sanctionnée par un examen qui permet pour le passage de l’équipage au statut opérationnel. Après deux à trois ans de vie active en tant qu’équipage opérationnel, l’équipage est « dissous » et on recrée un nouvel équipage qui démarre pour un nouveau cycle.
A son arrivée d’Avord, le jeune pilote à l’instruction réalise 10 séances de simulateur et 10 vols, puis il est lâché. Le pilote d’Atlantique vole ensuite en tant que pilote à l’entraînement, avec un commandant de bord confirmé, puis devient PO. Après un certain nombre de missions et de tests, il devient pilote confirmé.
La lutte anti-sous-marine est l’un des domaines les plus secrets de la défense nationale. Les sous-marins sont des armes extrêmement efficaces, qui peuvent faire pencher la balance lors d’un conflit. Les moyens de les débusquer et de les neutraliser sont constamment mis à jour en fonction des progrès technologiques de part et d’autre.
Dans la panoplie de systèmes mis en oeuvre par un équipage d’Atlantique, le radar est efficace pour détecter le périscope, le schnorchel, ou le sillage des sous-marins en immersion périscopique, à condition que l’état de la mer soit bon. Le FLIR fonctionne très bien en air relativement sec et hors-nuages, il permet de détecter les sous-marins diesélectriques lorsqu’ils rechargent leurs batteries, au schnorchel, grâce à la chaleur des gaz dans le sillage. Le MAD a lui une faible portée, il détecte les sous-marins s’ils ne sont pas immergés profondément.
Les balises acoustiques peuvent être larguées pour localiser un sous-marin ou bien pour dresser une barrière entre sa position soupçonnée et des navires de ‘valeur’. Les balises passives Jezebel sont discrètes (le sous-marin ne les détecte pas), mais elles ne donnent pas de localisation précise. Les balises DICAS, actives en différentes bandes de fréquence, donnent la possibilité à l’équipage de l’Atlantique de localiser le sous-marin, cependant celui-ci sait aussitôt qu’il est traqué, et peut donc entreprendre des tentatives d’évasion. Elles sont actionnées à distance par l’équipage et peuvent donc être laissées silencieuses jusqu’à un moment choisi.
Contrairement aux balises Jezebel, les DICAS ne renvoient pas aux opérateurs un signal permettant une analyse acoustique fine de la signature acoustique, et ne permettent donc pas l’identification précise du sous-marin. L’Atlantique peut choisir la nature de son barrage acoustique anti-sous-marin en fonction de la mission, protection discrète ou interdiction dissuasive, en choisissant la composition optimale de ses ensembles de bouées. Trois dispositifs de largage existent sur l’avion, du télécommandé au manuel: un dispositif est alimenté avant le départ par les techniciens au sol, et les deux autres peuvent être approvisionnés en vol par les équipiers. Un très grand nombre de balises des deux types sont stockées dans les racks internes de l’Atlantique, facilement accessibles en vol.
Dans la compétition perpétuelle entre les chasseurs et les sous-marins, l’Atlantique demeure un atout irremplaçable, un vecteur parfaitement adapté dont le système d’armes est en cours de modernisation. L’avion peut agir seul, ou en combinaison avec des navires de surface et un hélicoptère. Lors d’opérations combinées, les différents vecteurs sont reliés par une liaison 11.
Même si elles sont rarement médiatisées, les missions de renseignement sont régulièrement accomplies par les deux flottilles d’Atlantique, que ce soit au dessus de l’eau ou au dessus des déserts. Dans ce dernier cas, une seule condition: que le pays survolé soit coopératif. Et cela ne date pas d’aujourd’hui: la silhouette des Breguet est contumière des aérodromes africains, en particulier, presque autant que celle des Transall.
Ces missions de renseignement et de PC aérien sont plus connues du grand public depuis le début des opérations contre le terrorisme global dans la bande saharo-sahélienne: jusqu’à 6 Atlantique (et 10 équipages) ont été mobilisés lors de l’opération ‘Serval’, ils ont effectué 2500 heures de vol. En réalité, les conditions d’emploi tactique au-dessus des immenses zones désertiques, face à un adversaire peu nombreux, rarement concentré, et qui se déplace vite dans toutes les directions, ont beaucoup de points communs avec les missions anti-sous-marine ou de surveillance maritime.
Il restait à adapter ou moderniser les capteurs. C’est en cours pour pour certains équipements (caméra WesCam); à moyen terme les Atlantique 2 vont disposer d’un radar à balayage électronique ‘Searchmaster’ en remplacement du vénérable Iguane … avec une technologie issue de celle des Rafale, les performances de détection et de classification seront révolutionnées.
L’existence d’unités anti-sous-marines fortes est garante de la doctrine de stricte indépendance nationale initialement voulue pour la force de dissuasion. Depuis quelque temps, les Britanniques regrettent amèrement l’absence d’avions anti-sous-marins nationaux, et il leur arrive de faire appel à leurs collègues d’outre-Atlantique pour ‘protéger’ la sortie de leurs sous-marins, voire même à leurs confères d’outre-Manche (enfin … on le dit). Mais, il est vrai que la force de dissuasion anglaise n’est pas indépendante.
Actuellement, les cellules d’Atlantique sont à mi-vie, ce qui justifie la modernisation importante qui a débuté (mise au standard 5) et qui à terme aboutissent pratiquement à un Atlantique Mk3: les modernisations prévues sur l’Atlantique portent sur la remise à niveau du système acoustique, des moyens de communication, du système d’armes; 15 cellules seront concernées (contrat de 400 millions attribué à Dassault et Thalès, avec livraison du premier ATL2M en 2018).
Ce coup de jeunesse donnera à la flottille les atouts maîtres pour poursuivre avec succès ses missions primaires de patrouille maritime et de chasse au sous-marin, ainsi que celles de surveillance d’un théâtre d’opérations, de PC aérien et de guidage lors des interventions armées. Avec toujours, les atouts du gros bi-turbopropulseur: l’endurance en mission et un équipage suffisamment nombreux pour faire face à toutes les tâches pendant 10 heures d’affilée. Si l’on ajoute que sur les 28 avions initialement commandés, 27 sont toujours en parc (dont 15 en ligne, à peu près), on a l’assurance que la ‘frégate aérienne’ fera longtemps partie du paysage aéronautique militaire: 2032 … ou plus, si affinité.
Remerciements : au commandant de la 23F, ainsi qu’à l’Officier Chargé de la Communication de la base, Véronique Zopfmann, et au commandant de la BAN de Lann-Bihoué, le CV Christophe Lucas.
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