Le programme de l’exercice Frisian Flag 2015, tel que diffusé progressivement en début d’année, ne promettait guère, avec l’absence des participants traditionnels que sont pourtant les Belges et les nordiques (Danois, Suédois et Norvégiens pour ne pas les citer).
La faute à des restrictions budgétaires, et à des agendas opérationnels chargés, notamment pour les Belges (engagés en Pologne, à Lask, dans le cadre du renforcement du flan est de l’OTAN en raison des tensions en Crimée et en Ukraine, et à Azraq, en Jordanie, en sa qualité de participante aux forces engagées contre l’Etat Islamique en Syrie et Irak).
Mais c’est ce climat de quasi-retour à la guerre froide qui a finalement apporté les ingrédients ayant fait de ce petit millésime attendu un grand cru.
C’est ainsi que fin-février, a été annoncée la venue de rien moins que 12 F-15C et D des gardes nationales de Floride (6 avions) et de l’Oregon (6 avions également, dont le biplace).
Ces favoris des spotters, que les plus anciens avaient déjà eu l’occasion par le passé de photographier à Soesterberg, ont donc drainé une foule assez considérable, dont la gestion a quelque peu ému la sécurité, pourtant aguerrie aux photographes (nous sommes en Hollande, berceau du spotting).
Leur présence, sous un soleil radieux pour la plus grande partie de l’exercice, organisé du 13 au 24 avril, a quelque peu éclipsé les autres participants, savoir :
– 13 F-16AM hollandais (322 Tactess, Leeuwarden, 312/313 sqn, Volkel)
– 6 F-16C/D Block 52 polonais (32.BLT/10.ELT, Lask)
– 6 EF-18M/BM espagnols (Ala 12, Torrejon)
– 6 F-18C finlandais (HavLLv 31, Kuopio-Rissala)
– 11 Eurofighter allemands (TaktLwG 31, Nörvenich)
On rappelle que Frisian Flag, développé tout au long des années 90, a pour objet d’entraîner les participants à des opérations de COMAO (Combined Air Operations), concoctées « à la carte » en fonction des demandes.
Pour ce faire, les espaces aériens néerlandais, allemands et danois, et particulièrement les périmètres dédiés au dessus de la Mer du Nord, sont utilisés.
Organisées sur deux semaines, les sessions ne comportent pas de vols de nuit ou de tirs réels mais impliquent l’envoi de deux vagues journalières de 30 ou 40 avions, dans des rôles tant offensifs que défensifs.
Elles induisent donc une forte implication de l’organisateur, qui cette année a changé. A l’origine, l’exercice s’est en effet tenu sous l’égide de la Force Aérienne Royale Néerlandaise (Koninklijke Luchmacht, ou Klu), et plus particulièrement du 323 Sqn TACTESS (Tactical Training Evaluation and Standardisation Squadron).
Composé majoritairement d’instructeurs sur F-16, il était notamment chargé de la mise à jour des tactiques, des procédures et de la formation sur cet avion.
Mais il a désormais quitté Leeuwarden pour les Etats-Unis, afin de préparer l’introduction (controversée) d’une petite quarantaine de F-35A au sein de la Klu, à l’horizon 2019. De fait, l’organisation échoit donc désormais à l’autre résident de Leeuwarden, le 322, ‘Polly Grey’.
Premier Squadron Klu opérationnel sur F-16 (depuis 1981), cette unité prestigieuse, ayant participé à la seconde guerre mondiale au sein de la Royal Air Force, s’est également signalée dans la période contemporaine, puisqu’un de ses avions a descendu un MiG 29 serbe, le 24 mars 1999, à l’occasion de la crise du Kosovo (Operation Allied Force).
Cet appareil, immatriculé J-063, vole actuellement au Squadron 313 (Tigers) à Volkel. Il porte toujours sa marque de victoire, à l’avant-gauche du cockpit.
Il n’a échappé à personne que suite au réchauffement des relations Est-Ouest, après la chute du mur de Berlin, en 1989, le théâtre centre européen n’était plus considéré comme une zone de confrontation.
Les différents protagonistes, espérant recueillir les dividendes de la paix, ou du moins les affecter à autre chose qu’à la Défense, se faisaient donc moins actifs. D’où les différentes réductions de format constatées depuis le milieu des années 90, les fermetures de bases, et la forte décrue de la présence américaine, qu’elle soit sous la forme de stations permanentes ou de déploiements.
A tel point qu’il commençait à être oublié que depuis la fin des années 60, des déploiement d’unités US (USAF ou ANG), en une seule traite, avec le support de ravitailleurs et de transports, étaient organisés de façon régulière, voire même systématique, puisque de nombreuses bases européennes étaient équipées d’infrastructures permanentes, destinées à les accueillir (concept du Dual Base).
Ce transfert avait pour objet essentiel d’entraîner les unités basées sur le territoire américain à se projeter en Europe, les familiariser avec les procédures et conditions propres au théâtre d’opération local (y compris au niveau topographique et météorologique), et ensuite de les faire participer à des manœuvres avec forces alliées de l’OTAN, amenées au premier chef à intervenir sur ce théâtre d’opération en cas de crise.
Cette combinaison déploiement/exercice avait été conceptualisée et harmonisée à partir de 1974 par le Brigadier Général Alexander M. Haig Jr, commandant suprême des forces intégrées de l’OTAN en Europe (Supreme Allied Commander Europe – SACEUR).
C’est ainsi que ces manœuvres, composées de plusieurs exercices traditionnellement organisés au printemps (Reforger) et à l’automne (Autumn Forge) visaient à tester les capacités de défense du dispositif militaire intégré de l’OTAN, améliorer les procédures de réaction en matière de crise et uniformiser les pratiques en matière de procédure et de logistique.
L’annexion de la Crimée par la Russie l’année dernière, et les combats en Ukraine Orientale ont entraîné un regain des tensions Est-Ouest (ou tout du moins OTAN-Russie), avec comme corolaire finalement assez logique un retour des postures du passé, dont les déploiements américains sont une illustration.
La force de déploiement américaine, composée de 12 F-15, soit six de la garde nationale de Floride (125th Tactical Fighter Wing, basé à Jacksonville), et six de la Garde Nationale de l’Oregon (142nd TFW stationnés à Portland, Oregon), a traversé l’Atlantique avec plusieurs ravitaillements en vol, le 31 mars dernier.
Les Eagle ont été précédés du personnel de soutien, recruté les gardes nationales de Floride, Massachusetts, Californie et Oregon, amenés sur place par C-17. Dès les 3 avril, soit dix jours avant le début de Frisian Flag, les F-15 ont commencé à voler dans le cadre de missions tactiques avec les F-16 locaux.
Spécialisés dans le air-air, les américains ne cachaient pas leur impatience de se mesurer avec les Eurofighter du TaktLwG 31 de Nörvenich, puisque les qualités d’Air Defender de l’avion européen semblent connues et reconnues outre-Atlantique.
Dans ce challenge, ils partaient avec de bons atouts, leurs F-15 étant équipés du nouveau radar à antenne active APG-63 (V)3 (AESA). A l’issue de l’exercice, les F-15 rejoindront pour 6 mois la base de Graf Ignatievo en Bulgarie.
En effet, la participation à Frisian Flag ne constitue qu’une phase d’acclimatation, dans le cadre plus général de l’accroissement de la présence américaine en Europe, du fait de la crispation à l’est, précitée. Cet effort, désigné sous le vocable de ‘Atlantic Resolve’ implique également la présence d’A-10C (présents à Spangdahlem depuis mars) et de Black Hawk de l’US Army.
Les F-15 déployés font partie de l’Air National Guard (ANG), composante bien particulière de l’USAF. La Garde Nationale est en effet une spécificité des Etats-Unis, qui pour le coup méritent bien leur nom.
Alors que la France organise sa défense sur un mode jacobin, avec un Etat central omnipotent et aucune considération ‘locale’ s’agissant du commandement des forces militaires, les USA, historiquement, sont un regroupement d’Etats ayant précédé l’Etat fédéral et ayant été à ce titre amenés à organiser eux-mêmes leur défense.
Cette tradition de défense locale a donc perduré, avec des forces terrestres et aériennes, ces dernières ayant commencé à faire leur apparition dès 1915.
Consacrée par la loi le même jour que l’US Air Force (18 septembre 1947), l’Air National Guard est aujourd’hui considérée comme une composante de réserve de cette dernière (Air Reserve Component of the USAF), plus particulièrement spécialisée dans la Défense Aérienne, principalement des Etats-Unis.
Composées de pilotes en général très expérimentés, les unités ANG sont donc spécifiques. Si elles sont équipées et entraînées par l’USAF, elles sont indépendantes de sa chaîne de commandement, mais peuvent l’intégrer, de façon rapide, quand le besoin s’en fait sentir. C’est le concept de la ‘Total Force’, apparu dans les années 1970.
Pour faciliter cette perméabilité, les référentiels d’entraînement et les grades sont identiques dans l’USAF et dans l’ANG. Toutes spécifiques qu’elles soient, les unités ANG constituent donc un élément important de l’USAF, surtout dans des contextes de restrictions budgétaires au niveau fédéral.
Conformément à une habitude instaurée l’année dernière, et apparemment destinée à perdurer, Frisian Flag est désormais organisé conjointement avec l’exercice European Air Refueling Training (EART), ce qui est finalement assez logique, tant les capacités de ravitaillement en vol s’avèrent capitales dans les opérations multinationales de projection.
Dans ce domaine, l’Europe s’avère en retrait, puisqu’elle ne dispose que d’une flotte disparate et non unifiée d’une quarantaine de ravitailleurs au total, alors que les Etats-Unis en alignent plus de 500. D’où la nécessité – là aussi – d’unifier les procédures européennes. C’est ainsi que pendant toute la durée de l’exercice, un KDC-10 ravitailleur du 334 Sqn de la Klu, basé à Eindhoven, a été rejoint par un Airbus A310 MRTT allemand, un C-135FR français et enfin un KC-767A italien (la seconde semaine uniquement).
Les équipages ont pu embarquer dans les avions de leurs homologues étrangers, afin de pouvoir toucher du doigt les différences de pratiques, devant nécessairement tendre à être gommées, dans le sens, là aussi, d’une harmonisation des procédures. L’exercice EART ajoute ainsi un degré de réalisme supplémentaire à Frisian Flag, outre qu’il constitue un élément essentiel de la constitution d’une flotte unifiée de ravitailleurs européens.
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Merci à Damien Defever pour la mise à disposition de deux beaux clichés.