Le vol de nuit, évoqué par Antoine de Saint-Exupery dans son roman de 1931, est un des aspects les plus incontournables et les plus impressionnants du pilotage des avions. La vision est le seul de nos sens qui bénéficie de facultés aussi poussées d’intégration dans l’espace et dans le temps. De plus, nos yeux sont des capteurs extrêmement précis, à grand champ, et avec des capacités élevées d’évaluation de la distance. L’absence de lumière ambiante genère donc des conditions très particulières de pilotage.
La perte du contrôle visuel de l’environnement et de la situation de l’aéronef au sein des éléments engendre des sensations et des illusions qui occasionnent fréquemment des situations dangereuses. Ce n’est au prix d’un entraînement régulier que le pilote professionnel parvient à connaître et éviter ces dangers, et à accomplir sa mission de nuit.
Ce qui est vrai pour tous les pilotes d’aéronefs l’est encore plus pour les pilotes d’avions de combat: l’habitacle des avions de chasse est étroit, ce qui accroit les possibilités d’illusions sensorielles, par rapport à un avion de transport. Dans le cas de chasseurs monoplaces, le pilote est seul, sa vulnérabilité à des illusions ou à des éventuelles erreurs d’appréciation est donc grande. Il n’y a pas de partage des tâches avec un « copi ». Les missions effectuées en vol de nuit par un pilote de combat sont assez semblables à celles effectuées de jour: il est possible aujourd’hui de remplir pratiquement tout le spectre des missions de jour, hormis le combat aérien rapproché.
De plus, la pratique du vol en patrouille de nuit, pour le pilote de combat, est un exercice difficile en soi, la sécurité du vol réclamant une évaluation exacte des distances pendant un temps prolongé. Lors du briefing d’un vol de nuit, le chef de patrouille insiste donc spécifiquement sur la souplesse des évolutions de l’avion qui est en position de leader: l’ailier ne doit pas être surpris. Les messages radio précédant les évolutions doivent être particulièrement précis et sans ambiguité. Le risque de collision en vol est tangible. Ces éléments sont également vrais pour la pratique du ravitaillement en vol nocturne, un exercice particulièrement difficile tant la précision de pilotage requise, au cm près, est grande.
La mission de police du ciel est pratiquée au quotidien par les pilotes de défense aérienne, de jour comme de nuit. Lors d’une interception, le pilote est dirigé vers un avion suspect par les opérateurs du Centre Opérationnel de Défense Aérienne. Une fois que le « target » est visualisé sur le radar du chasseur, le pilote exécute une manoeuvre d’approche, en aveugle.
La dernière phase d’approche est la reconnaissance en visuel de l’avion suspect, qui de nuit demande une très grande dextérité: le pilote doit en effet s’approcher suffisamment pour l’identifier et connaître ses intentions ou ses éventuels problèmes. A faible distance, le pilote éclaire l’avion intercepté grâce à son phare de police, visible sur le côté gauche du 2000.
Dans une unité de défense aérienne, une grande partie des entraînements de nuit se font en patrouille à deux, et consiste à pratiquer des exercices d’interception. Pour les missions réelles de police du ciel, c’est généralement un seul intercepteur de la permanence opérationnelle qui décolle. A Orange, les jeunes pilotes, stagiaires ou en instruction, apprennent les rudiments du métier. Le rassemblement aveugle de nuit est un exercice de style que tout pilote doit pouvoir maîtriser, soit pour recueillir un avion ou faire de la police du ciel, soit pour se rendre sur un ravitailleur en vol ou tout simplement rejoindre un autre avion afin d’effectuer une percée de nuit en patrouille serrée.
La phase ultime est très délicate car il s’agit de remonter par l’arrière un avion avec une vitesse relative qui doit être dégressive jusqu’à l’acquisition visuelle du « target » ou de ses feux. Par nuit noire sur un avion en panne électrique totale donc sans feux anticollision, ou lorsque l’interception se déroule dans les nuages de nuit, l’exercice est très sportif. L’avion intercepté peut alors « sauter à la gueule » de l’intercepteur, ce qui n’est pas dénué de risques de collision. Tout pilote de DA peut raconter ses frayeurs dans de telles occasions.
Les systèmes de suivi de terrain des chasseurs-bombardiers, tel que le Mirage 2000N ou le 2000D, sont performants de jour comme de nuit, mais d’aucune utilité dans les phases air-air de la mission. En effet, sur ces avions qui ne sont pas pourvus d’un radar avec un bon mode air-air, il est extrêmement délicat d’effectuer un rassemblement aveugle de nuit dans de mauvaises conditions météo, notamment lors d’une rejointe de ravitailleur. D’autant que ce n’est pas le pilote qui a l’usage du radar, mais le navigateur en place arrière : le pilote n’a que ses yeux pour le rassemblement de nuit. On imagine qu’avec le radar RBE2 du Rafale, ce « petit inconvénient » n’est plus d’actualité.
Un autre aspect du vol de nuit, que l’on peut expérimenter même en avion léger, est la sensation de confort et de tranquillité qui envahit le cockpit, lorsque les conditions météo sont clémentes. Cette sensation peut se révéler trompeuse, notamment lorsque le moment est venu de rejoindre le sol : en effet, la prise de contact avec la piste n’est pas la même si on arrondit à 30 cm ou à 3 mètres du sol !
Remerciements: Au Colonel Coulibaly, commandant le 2/5 Ile-de-France, et au Colonel Virem, commandant la base aérienne 115 « Capitaine de Seynes », et un merci particulier au Capitaine Dufour, de l’EC 2/5. Merci également au personnel du 2/5 et de l’ESTA 2E115, pour leur confiance et leur bienveillance.
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