Depuis l’arrivée de la 21F à Lann-Bihoué le 7 juin dernier, les deux flottilles de lutte anti-sous-marine sont basées sur la façade Atlantique. Avec la présence à Brest de la FOST, elles sont fortement impliquées dans la protection de l’activité des SNLE, menant des missions de lutte anti-sous-marine au large de la Bretagne.
En effet, pour que la dissuasion française soit 100% crédible, il est d’une importance primordiale que la sortie des sous-marins stratégiques se fasse en dehors de la présence d’aéronefs ou autres navires curieux aussi bien en surface que sous la surface. Par ailleurs, les patrouilleurs Breguet ont de tout temps été des atouts irremplaçables pour les missions de surveillance et de PC aérien lors des opérations en Afrique.
La 21F a été constituée en juillet 1953 à sur la BAN de Lartigue (Oran), à partir des escadrilles 2B et 3F, volant sur Lancaster. En novembre 1963, elle a quitté l’Algérie avec ses P-2V6 pour s’installer sur la base aéronavale de Nîmes-Garons. Depuis 1965 elle vole sur les patrouilleurs Breguet, d’abord avec le Br-1150 Atlantic, puis à partir de 1994 avec l’Atlantique ou Atl2. La flottille a rejoint Lann-Bihoué en juin 2011.
La 23F a pris son identité en juin 1953, sur la base de Port-Lyautey (Maroc), équipée d’Avro Lancaster reprenant les traditions de l’escadrille 2F (ex-2FB). Elle a rejoint Lann-Bihoué en janvier 1961, avec ses P-2V7 Neptune, et a volé sur Atlantic de 1972 à 1991. Depuis février 1991, la flottille vole sur Atlantique.
Les missions de l’ATL2
Avion de 46 tonnes de masse maximale au décollage, l’Atlantique est en fait une « frégate aérienne multi-missions » au service de la Marine, et plus généralement du pays. Il peut assurer indifféremment la mission de lutte ASM, pour laquelle il a été spécifiquement conçu comme son grand frère, l’Atlantic, celle de lutte anti-surface, de surveillance maritime, de PC volant lors d’opérations terrestres combinées (Côtes d’Ivoire, Tchad), de surveillance électronique.
L’Atlantique est aussi adapté à la mission de recherche et secours en mer (SAR: crash de Sharm el Cheik, AF 447), pour laquelle les Falcon 50 de la 24F et les Gardian de la 25F sont cependant spécialisés.
L’Atlantique a même acquis récemment une capacité de bombardier, avec la capacité d’emport de bombes guidées laser GBU-12. Il y a actuellement 18 Atlantique en service dans les flottilles, les autres avions de la commande initiale étant soit en entretien à Cuers, soit en réserve ; un avion a été détruit lors d’un accident (aucune victime n’a été déplorée). Au moins deux avions sont prépositionnés en permanence en Afrique, l’un à Dakar, l’autre à Djibouti.
L’Atlantique se déplace en croisière à 270 noeuds, il lui faut ainsi deux heures pour passer à la verticale de Montpellier en décollant de Lorient. En patrouille basse ou moyenne altitude, le meilleur compromis entre autonomie et mission est trouvé pour une vitesse de 180 noeuds environ.
Les moyens de recherche anti-surface ou anti-sous-marine incluent le radar Iguane rétractable, la caméra infra-rouge (FLIR), les bouées acoustiques passives (Jezebel) et actives (DICAS), les moyens d’écoute radio-électriques, et le détecteur d’anomalies magnétiques (dans la queue). La vue qu’offre les larges postes d’observation est un capteur à ne pas négliger.
Quelle que soit leur mission, en cas de survol maritime, les Atlantique emportent toujours au moins une chaîne SAR dans leur soute en cas d’appel de détresse. Pour les missions de reconnaissance, l’avion est équipé d’appareils photos argentiques et numériques de grande précision. Un ensemble d’équipements « Comint » peut aussi être monté en option pour les missions de recueil d’informations sur les transmissions, avec cette fois des équipiers spécialisés.
Une fois que l’objectif est détecté et localisé, la vaste soute de l’avion recèle trois types d’arme: le missile anti-navire AM-39 « Exocet » (jusqu’à deux), la torpille MU-90 (jusqu’à six) ou les bombes guidées laser GBU 12. En configuration « multi-lutte » , l’Atlantique emporte un AM39 et deux MU90.
Enfin, pour compléter le tout, l’Atlantique permet aussi le largage de commandos par un toboggan en soute arrière, un médecin peut aussi sauter en tandem, par exemple lorsqu’il faut porter secours à l’équipier d’un sous-marin qui croise à très longue distance de la France. Cette capacité a pu être utilisée dernièrement en Lybie.
Actuellement, les cellules d’Atlantique ont entre 4500 et 7000 heures de vol, on considère qu’elles sont à mi-vie, ce qui justifie la modernisation importante qui a débuté. L’entretien de l’avion se fait au rythme des petites visites V1 qui durent 8 jours, des visites V2 faites en flottille et qui durent 55 jours, et des grandes visites V3 pour lesquelles chaque avion passe à Cuers durant un an et demi.
Lutte anti-sous-marine
Il est difficile de décrire les tactiques de lutte anti-sous-marine, car ce domaine fait partie des secrets les mieux gardés de la défense nationale. Rappelons que pendant les deux guerres mondiales, les sous-marins ont été responsables de la majorité du tonnage envoyé par le fond. Aussi, les moyens de les débusquer et de les neutraliser sont constamment mis à jour au fur et à mesure des progrès technologiques de part et d’autre.
Dans la panoplie de systèmes mis en oeuvre par un équipage d’Atlantique, le radar Iguane est efficace jusqu’à une certaine distance pour détecter le périscope, le schnorchel, ou le sillage des sous-marins en immersion périscopique, à condition que la mer soit dans un état raisonnable (moins de force 5). On imagine bien que cette distance pourrait être de l’ordre de la quinzaine de nautiques. Le FLIR fonctionne très bien en air relativement sec et hors-nuages, il permet de détecter les sous-marins diesélectriques lorsqu’ils rechargent leurs batteries, au schnorchel, grâce à la chaleur des gaz dans le sillage.
Le MAD a une faible portée, il ne détecte les sous-marins que s’ils ne sont pas immergés trop profondément, et les petits bâtiments peuvent éventuellement lui échapper. De plus, les coques sont munies de démagnétiseurs qui diminuent fortement les anomalies magnétiques provoquées par les fortes masses métalliques des sous-marins.
Les balises acoustiques peuvent être larguées en très grand nombre (plusieurs dizaines) pour localiser un sous-marin ou bien pour dresser une barrière infranchissable entre sa position soupçonnée et des navires de grande valeur. Les balises passives Jezebel sont discrètes (le sous-marin ne les détecte pas), mais elles ne peuvent pas donner de localisation précise. Les balises DICAS, actives en différentes bandes de fréquence, donnent la possibilité à l’équipage de l’Atlantique de localiser le sous-marin, cependant celui-ci sait aussitôt qu’il est traqué, et peut donc entreprendre des tentatives d’évasion.
La détection, l’identification et la neutralisation d’un sous-marin sont donc les étapes principales d’une partie extrêmement délicate. Dans la compétition perpétuelle entre les chasseurs et les sous-marins, l’Atlantique demeure un atout irremplaçable.
La mise en œuvre
Chacune des deux flottilles compte approximativement 300 personnes de tous profils : les unités de patrouille maritime sont très grosses en raison du travail en équipage constitué et de la logistique importante nécessaire à la mise en œuvre des avions et de leurs systèmes très complexes.
Les équipages comptent au minimum 13 personnes , mais en principe plutôt 14 personnes ou plus: un pilote, un chef de bord (assis en place droite, il supervise la situation tactique et la trajectoire de l’avion), un pilote en place gauche, un mécanicien de bord (le mecbo participe à la conduite de l’aéronef en basse altitude), un coordinateur tactique (le tacco), trois opérateurs acousticiens, trois radaristes navigateurs (les denaes), trois opérateurs de guerre électronique et de transmission (les gedbos), un deuxième mecbo arme un poste de veille, il est chargé du largage d’artifices depuis l’arrière de l’avion. En permanence, trois postes de veille sont armés: les deux sabords et le nez vitré, par des membres de l’équipage.
Un équipage est constitué pour une durée d’au moins trois ans : la première année se passe en formation autour d’un nucleus de 4-5 équipiers opérationnels, elle est sanctionnée par un examen qui permet pour le passage de l’équipage au statut opérationnel. Après deux ans de vie active en tant qu’équipage opérationnel, l’équipage est « dissous » et on recrée un nouvel équipage qui démarre pour un nouveau cycle. Il faut savoir que chaque flottille compte 7 à 8 équipages opérationnels et 3 équipages en formation.
Un membre d’équipage d’Atlantique vole beaucoup (350 heures par an), en sachant qu’un vol peut atteindre une durée de 9 à 10 heures. La technique est au chevet de l’avion au moins 2 heures avant le vol, pour la préparation de l’avion en fonction de la mission prévue (avitaillement, chargement des armes et bouées acoustiques).
Le passé récent a vu le rapatriement de la flottille 21F de Nîmes-Garons à Lann Bihoué, avec son lot de conséquences logistiques sur la base bretonne. La présence sur la plate-forme de l’ensemble de la PatMar métropolitaine amènera peut-être chacune des deux flottilles à avoir une activité opérationnelle répartie sur l’ensemble des théâtres: Atlantique, Méditerranée, Outremer et Afrique. A moins que l’une d’entre elles ne soit plus spécialisée dans l’ASM pur, l’autre se réservant plus particulièrement les missions « opex ».
Les modernisations en cours sur l’Atlantique portent actuellement sur l’avionique, la remise à niveau du système acoustique étant déjà planifiée, et le reste du système devant suivre. L’affaire de la prise d’otages au Niger a mis en évidence l’urgence d’une modernisation de l’optronique. Vers 2015, c’est en fait un Atlantique « standard 2 » qui équipera la 21F et la 23F, et ce qui donnera aux flottilles les atouts maîtres pour poursuivre avec le même succès ses missions primaires de chasse au sous-marin et de surveillance.
La mise à la retraite anticipée des Nimrod de la RAF a surpris tout le monde: il n’est pas du tout dans l’intention de la Marine de suivre cet exemple, ni de confier la patrouille maritime à des drones. Le CEMM a même déclaré récemment qu’il ferait tout son possible pour conserver les deux flottilles, même si la mutualisation de la maintenance est certaine.
Remerciements: à Véronique Zopfmann (Service Communication de la BAN de Lann Bihoué), à la Flottille 23F.
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