Grosse activité pour la base aérienne d’Orange dans la semaine du 3 au 7 décembre: c’était la semaine tactique du 2/5 Ile de France. Au niveau national, on connait les grands exercices des forces aériennes de type Airex ou Volfa, organisés au niveau Etat-Major; on se rappelle aussi des regrettés « Chef de Mission »… mais qu’est ce que la semaine tactique ?
Ce type d’exercice est organisé à l’initiative et au niveau d’un escadron, même s’il met en jeu quotidiennement plusieurs unités en France, et aussi des invités étrangers.
Le chef d’orchestre de la semaine tactique au sein de l’escadron de chasse fait jouer des scénarios ressentis comme critiques au niveau des opérationnels, c’est-à-dire incluant des situations tactiques pas forcément bien « vues » durant d’autres entraînements, mais cependant réalistes.
Durant le scénario du jour, il y a bien sûr des bleus qui sont les adversaires des rouges, sous le contrôle du système de défense aérienne nationale (centres opérationnels, stations radar, AWACS éventuellement). Aujourd’hui le scénario consiste en un raid de strikers bleus protégé par un sweep bleu, et attendu par les chasseurs « red » qui tiennent les QRA.
Les strikers sont 4 Mirage 2000N du 2/4 Lafayette, et le sweep bleu (les avions de défense aérienne qui pénètrent en territoire ennemi afin de créer un corridor pour permettre aux strikers d’atteindre l’objectif sans subir de perte) est une mixed fighter force operation (MFFO) composée de deux -5F du 1/2 « Cigognes » et de deux 2000C du 2/5.
Les chasseurs « red » sont quatre MiG-29 armés de missiles AA-10A … et simulés par 4 Mirage 2000C de l’EC Ile-de-France, dont les radars et les domaines de tirs sont fictivement modifiés pour l’occasion.
Décrite comme cela, la COMAO (combined air operation) semble des plus ordinaires: ce sont les règles du jeu adoptées durant le scénario qui vont le rendre plus réaliste pour tous les participants. Disons pour être bref que la semaine tactique est le cadre idéal pour que les règles collent au plus près à la réalité.
Cependant, on ne déroge en rien à ce tout ce qui concerne la sécurité des vols: ainsi, chacune des deux forces évoluent dans une tranche d’altitude qui lui est propre, afin d’annuler le risque de collision en vol lors de ce cheese. Un avion des bleus ou des rouges ne peut sortir de son « sanctuaire » que s’il y est autorisé par le contrôle au sol, et si aucun autre avion n’est présent dans un rayon de 10 nautiques.
La journée débute par une présentation du scénario à l’ensemble des participants (bleus et rouges, sur la base d’Orange, ainsi qu’à Istres et Luxeuil). Ensuite les deux forces se séparent pour la préparation de mission (mise au point d’une tactique, obtention des autorisations, préparation des documents, programmation des modules), puis le chef de chaque patrouille prépare le briefing (plus d’une heure avant le démarrage des avions) qui est effectué tout en anglais, en respectant un ordre bien précis.
Lors du briefing, chacun des pilotes peut apporter des éléments qu’il aura lui-même préparé. Pour un auditeur qui n’est pas du métier, mais doué cependant d’un niveau raisonnable en anglais et de connaissances élémentaires en aéronautique, le briefing est peu compréhensible tant il est confit de mots appartenant au jargon des pilotes militaires.
Assistant au briefing des « red air », je remarque que les pilotes commencent par synchroniser leurs montres à la seconde près, geste presque séculaire de l’aviation. Les « Coton Mike » sont prévus au décollage à 13h15Z. J’attrape au passage que l’exercice se tient dans la zone TSA 43, et que les trainées de condensation sont prévues à partir du niveau 370, donnée très importante en combat aérien. Pour la force rouge, le niveau de risque est haut, aussi les tirs (simulés!) sont autorisés sans vérification visuelle de la nature du « target ».
Après un briefing d’une bonne demi-heure, les pilotes passent au vestiaire et au bureau de piste, avant de se retrouver au pied des avions. Quatre mécaniciens et 4 Mirage équipés de grosses c… de 2200 litres les attendent.
Visite prévol, mise en route, vérifications avant roulage, puis roulage s’enchaînent pour un décollage en « trail » à l’heure prévue.
Le décollage en trail est adapté à toutes les conditions météo et configurations avion, puisqu’une fois les quatre avions alignés sur la piste, les décollages ont lieu à 30 secondes d’intervalle. La rejointe a lieu en cours de montée, avec l’aide du radar.
Une heure et 15 minutes plus tard, les Mirage des forces bleue et rouge se présentent en finale sur la base d’Orange.
Après le retour des deux patrouilles au parking, les pilotes échangent avec leur chef-avion respectif quelques éléments sur l’état de l’avion, puis rejoignent les vestiaires après une étape au bureau de piste.
La dernière phase de cette mission d’entraînement va débuter, c’est la plus importante pour les progrès de chacun des pilotes dans leur « métier », celle du débriefing.
Sur les trois bases d’attache des unités ayant participé à l’exercice, les pilotes ont déchargé leur module de données et les fichiers des missions de chaque avion ont circulé grâce au système de communication de l’Armée de l’Air. Tout le monde se retrouve devant le SERPAM (Système d’Exploitation et de Restitution de Mission) et l’on va savoir de manière certaine si le raid bleu est passé, si la force « Red Air » a réussi à empêcher la pénétration des strikers, ou si l’escorte bleue est venue à bout des MiG-29 défenseurs, etc …
Le débriefing est très long, presque deux heures, car une fois que le scénario global a été analysé, les chefs de patrouille reviennent sur les « pistes » de chaque avion afin de discuter avec chaque pilote les trajectoires, les solutions de tir, l’utilisation du radar et des leurres, etc. Ainsi, chacun des équipiers bénéficie au maximum de cet exercice complexe et très réaliste.
Logiquement, au fur et à mesure de l’avancement de la « semaine tactique », les scénarios gagnent en complexité (comme c’est le cas aussi pour d’autres types d’exercice, comme le TLP ou le Tiger Meet, Red Flag, …). Tous les pilotes de l’escadron, en particulier les plus jeunes, progressent ainsi dans la maîtrise de leur métier de chasseur de défense aérienne.
Avec de tels entraînements, ils sont mieux préparés pour que le jour venu, lorsque l’engagement sera réel, ils puissent faire face à un adversaire réel, dans des situations tactiques inédites.
Au 2/5, on a la chance de disposer d’un grand nombre d’avions: la disponibilité est excellente car l’ESTA connait le 2000C sur le bout des doigts. Certes, les « RDI » sont actuellement limités au niveau des missiles, il suffirait d’ailleurs de peu de modifications pour que ces 2000 soient aptes à l’emport des MICA.
Tous les monoplaces étant maintenant des avions hérités de Cambrai, des « gros numéros » mis en service sur le tard, le potentiel cellule est encore important.
Avec le 1/2 Cigognes, le 2/5 Ile-de-France est un des derniers représentants des unités de défense aérienne « pure »: on en comptait pas moins de dix escadrons à la fin des années 80.
Ces escadrons ont la tâche de perpétuer la science de la DA qui, comme les autres spécialités de l’aviation militaire, se transmet par la pratique avec des pilotes aguerris, au sein des unités dédiées.
Ce qu’on appelle le « potentiel humain ». Car si les avions multi-rôles ne sont pas des inventions récentes (le IIIE en était un, avant le Rafale), le pilote multi-rôle est lui plus un mythe qu’une réalité.
Remerciements: Au Colonel Coulibaly, commandant le 2/5 Ile-de-France, et au Colonel Virem, commandant la base aérienne 115 « Capitaine de Seynes », et un merci particulier au Capitaine Dufour, de l’EC 2/5. Merci également au personnel du 2/5 et de l’ESTA 2E115, pour leur confiance et leur bienveillance.
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